AccueilReligion et État : logiques de la sécularisation et de la citoyenneté en islam

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Religion et État : logiques de la sécularisation et de la citoyenneté en islam

Religion and state: the logic of secularisation and Islamic citizenship

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Publié le vendredi 17 mai 2013

Résumé

L’objectif de ce colloque est de fournir des clés de compréhension des transformations des sociétés arabo-musulmanes qui correspondent à maints égards à des formes alternatives et endogènes de sécularisation et de citoyenneté. Autrement dit, de nombreux observateurs sont actuellement confrontés à une réalité empirique – notamment les bouleversements sociopolitiques survenus en 2011 dans le monde arabe – face à laquelle ils constatent un déficit d’énoncés théoriques et de concepts opératoires. La finalité de ce colloque est de regrouper sous une thématique commune, celle des logiques de la sécularisation et de la citoyenneté, un certain nombre d’hypothèses et de travaux exploratoires.

Annonce

Présentation

Depuis l’ère des indépendances et au fur et à mesure du durcissement des régimes au pouvoir, le religieux est devenu une sorte d’asile politique pour toutes sortes de revendications citoyennes. Là où la liberté de parole et d’opinion s’est progressivement restreinte, le recours au religieux a crû telle une valeur refuge en attente d’un droit social et politique qui a assumé une vocation d’autant plus messianique qu’il reste le maillon faible ou la pièce manquante de l’État postcolonial. C’est en ce sens que nous pouvons entrevoir des logiques de sécularisation et de citoyenneté au sein même du fait religieux contemporain.

En porte-à-faux avec les prédicats de nombreux politologues occidentaux, mais aussi d’intellectuels et autres clercs médiatiques euro-arabes qui ont essentialisé l’islam et ses manifestations, l’évolution récente des sociétés du Maghreb et du Machreq révèle en pointillés une rationalisation à l’œuvre au sein des sociétés. Les conséquences de cette rationalisation pourraient être plus significatives qu’un (ré)enchantementreligieux dont se réclament parfois ces sociétés. C’est cette rationalisation derrière le phénomène d’apparence religieuseque nous voudrions sonder, pour les droits civils qu’elle est susceptible de faire avancer dans l’actuelle vague de libéralisation politique, voire de démocratisation. La plupart des « spécialistes » et des « représentants » de l’islam n’ont voulu observer que cette visibilité du religieux, sa sphère discursive, alors que nous cherchons à saisir les infra-logiques qui l’animent.

A l’orée des révolutions sociales arabes et de la nature areligieuse de leurs motivations et revendications (pour l’essentiel : « liberté, justice, dignité », « le peuple veut la chute du régime »), les relations entre religion et politique s’avèrent donc plus subtiles qu’elles ne paraissent même si en même temps une différentiation est en train de s’opérer. La radicalité des manifestations populaires, leur émancipation vis-à-vis du pouvoir politique et leur affranchissement de toute autorité religieuse, mais aussi l’accès au gouvernement de partis politiques islamistes sont en train de fluidifier des repositionnements idéologiques au sein d’un paysage politico-religieux de plus en plus nuancé. Ce colloque ambitionne de mieux discerner ces relations dans une vision qui se veut à la fois critique et prospective : il s’agit de proposer une grille de lecture d’un islam du XXIe siècle qui doit impérativement répondre au défi de bouleversements mentaux, d’une complexification croissante de sociétés jeunes et dynamiques, d’une redéfinition du rapport au pouvoir politique et économique, ainsi que d’une reconfiguration géopolitique majeure au Maghreb et au Machreq.

D’une certaine manière, les logiques actuelles de la sécularisation s’articulent autour de la question lancinante de l’islam et des fondements du pouvoir telle qu’elle fut évoquée en 1925 de manière critique et clinique par le théologien égyptien Ali Abderrazik. Comment penser des États dont le système politique doit dorénavant affirmer la prééminence du peuple, la primauté de sa souveraineté en lieu et place des figures mythiques ou plutôt mythifiées du Calife, du Sultan, de l’Émir, du Cheikh et de l’Imam ? Comment passer du modèle théologique de la masse (‘amma) obéissante au Représentant de Dieu sur terre, au gouvernement issu de la volonté du plus grand nombre ?

Si depuis plus d’une trentaine d’années, l’islam a représenté un étendard politique pour toutes sortes de mouvements visant à transformer l’État et la société, la question qui se pose désormais est de savoir si la réislamisation effectuée n’a pas abouti paradoxalement à une sécularisation et à une citoyenneté aux logiques plurales et complexes. De plus, toutes sortes de processus tels que la désacralisation du pouvoir et du savoir, le libéralisme économique et la globalisation des échanges, la géopolitique du pétrole, la communication ubiquitaire des nouveaux médias, l’émergence des sociétés civiles et la démocratisation de la vie politique concourent à redéfinir les champs respectifs du religieux et du politique. Durant les trois dernières décennies, la plupart des sociétés arabo-musulmanes ont connu une transformation démographique qui s’est traduite par une urbanisation et une alphabétisation de masse dont les effets se traduisent aujourd’hui par des revendications citoyennes autour d’un État de droit. La nouveauté est que ces revendications semblent ne s’accompagner d’aucune connotation métaphysique. Jusqu’où pourrait donc aller la dynamique de ces sociétés qui opposent des logiques horizontales à la transcendance dont se réclament et se parent depuis des siècles le pouvoir politique et l’autorité religieuse en islam ?

Comme pour éloigner le spectre de la militarisation ou de la confessionnalisation de l’État, une notion semble émerger des débats issus de la vague actuelle de démocratisation ; celle d’un « État civil » (dawlamadaniya). Il est aussi instructif d’observer le rôle particulier – souvent pondérateur – et la rationalité de partis islamistes engagés dans des réformes politiques d’États à forte légitimité religieuse ou d’essence théocratique (royaumes du Maroc, de Jordanie et d’Arabie Saoudite). Est-ce là seulement un moment tactique du redéploiement de l’islam politique dans la vie sociale et démocratique du plus grand nombre ou bien un mouvement de fond ? A cet égard, l’évolution de la Turquie est souvent posée en modèle : il y a eu indubitablement ouverture culturelle, démocratisation politique, élargissement économique, promotion sociale au sein d’un régime d’essence laïque avec un gouvernement d’inspiration islamiste qui dirige le pays depuis une dizaine d’années. Toutefois, rien n’est définitivement acquis au vu de certaines crispations actuelles vis-à-vis de la différence culturelle ou des atteintes de plus en plus perceptibles à la liberté d’expression et d’opinion.

Quelles vont être les conséquences des révolutions sociales arabes sur les relations entre religion et politique en islam? Comment va-t-on concrètement répondre aux questions pressantes de la citoyenneté (et son indifférence par rapport à la confession religieuse, à l’origine ethnique), de l’évolution du code du statut personnel ou de la famille, à la liberté de conscience et d’opinion ? Quels vont être les principes et les valeurs adoptés dans les nouvelles assemblées constituantes des pays libérés de la dictature ? En quoi l’évolution de l’islam politique ou de l’islamisme – en clair son exercice du pouvoir – peut-elle conduire à différencier les sphères de la Religion (Din) et de l’Etat (Dawla)? Dans quelle mesure la notion de « démocratie islamique » est-elle comparable à celle de la démocratie chrétienne et à son rôle social et politique dans nombre de pays européens tout au long du siècle dernier ? La démocratisation en cours dans le monde arabe peut-elle faire l’économie d’une critique du discours théologico-politique en islam ? Une autre rationalité islamique, ouverte et pluraliste, peut-elle voir le jour à la faveur de l’esprit libertaire et subversif du « Printemps » arabe ? Comment penser un islam en phase avec les sociétés et les contingences du XXIe siècle ? Enfin, comment la communauté internationale – et les bailleurs de fonds occidentaux en particulier – se (re)positionne-t-elle face à ces logiques de sécularisation et de citoyenneté en islam ? Peut-on entrevoir une déconstruction des paradigmes orientalistes et sécuritaires qui ont marqué plusieurs décennies de « coopération » ? Et si, au bout du compte, les partis islamistes au pouvoir devenaientdes forces de renouveau démocratique dans les pays arabo-musulmans?

Telles sont quelques-unes des questions, objet d’intenses débats au sein des sociétés arabo-musulmanes, mais occidentales aussi, que ce colloque se propose de traiter.

Ce colloque international consacré aux logiques de la sécularisation et de la citoyenneté en cours dans l’islam contemporain devrait offrir la possibilité d’opérer une percée théorique importante, en abordant frontalement un sujet majeur dont il est temps d’articuler les potentialités conceptuelles. Ce sujet sera traité à travers des éclairages multidisciplinaires convoquant l’histoire des religions, l’anthropologie et la sociologie religieuses, la philosophie et la sociologie politiques, et enfin la théologie islamique contemporaine. Les logiques de la sécularisation dont il sera question expriment des enjeux cruciaux étroitement liés au devenir de l’islam aussi bien dans le monde arabe que dans l’espace européen.

Programme préliminaire

Jeudi, 6 Juin 2013

Après-midi

Allocution d’ouverture Reda Benkirane, ASDEAM et Centre Jacques Berque, Rabat et Riccardo Bocco, IHEID, Genève

Table ronde d’ouverture : Sociétés arabo-musulmanes et changements politiques dans le miroir de l’Occident

Président de séance : Zidane Meriboute, School of Oriental and African Studies, Londres

  • Les politiques d’aide de l’UE à l’épreuve des « printemps arabes », Riccardo Bocco, professeur à IHEID, Genève
  • Politiques de sécurité et géopolitique de l’islam, Mahmoud Ould Mohammedou, professeur visiteur àIHEID et GCSP, Genève
  • Quelques axes d’une coopération à venir : recherche, science, société du savoir, Hassan Ghaziri, Association suisse pour le dialogue euro-arabo-musulman (ASDEAM), Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), Lausanne

Vendredi, 7 Juin 2013

Matinée

Première session : perspectives historiques et anthropologiques

Président de séance : à  préciser

  • Le religieux en tant que catégorie de l’ethnographie occidentale, Mondher Kilani, anthropologue professeur à l’université de Lausanne
  • Religion et politique aux premiers siècles de l’islam, Makram Abbes, philosophe, École Normale Supérieure de Lyon (France)
  • The Democracy Offensive and the Defences of Islam, Joseph Massad, anthropologue, Columbia University, New York (Etats-Unis)
  • Révolution, émancipation et libération sociales : le précédent iranien (1979-2009), Farhad Khosrokhavar, sociologue, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris (France)

Après-midi

Deuxième session : Perspectives sociologiques

Président de séance : Riccardo Bocco, IHEID, Genève

  • Sécularisation et islamisation, complexité des relations au religieux, Youssef Belal, politologue, Columbia University, New York (États-Unis)
  • Le poids de la société civile entre État et Religion au lendemain du printemps arabe, Benoît Challand, professeur assistant auprès du Kevorkian Center for Near East Studies, New York University (États-Unis)
  • Sécularisation… inch’Allah. Illustration et théorie du processus de sécularisation dans le Maroc post-printemps arabe, Cédric Bayloq, anthropologue, Centre Jacques Berque, Rabat (Maroc)
  • L’islam est-il sécularisable ?, Tareq Oubrou, théologien, imam de la mosquée de Bordeaux (France)

Samedi, 8 Juin 2013

Matinée

Troisième session : constructions philosophiques et juridiques dans l’islam contemporain

Président de séance : Yves Besson, ASDEAM, Suisse

  • Islam et révolution : de la théologie de la libération à la libération de la théologie, Réda Benkirane, sociologue, ASDEAM et Centre Jacques Berque, Rabat (Maroc)
  • Charia et droits humains du 21e siècle, Abdullahi An-Naim, juriste et professeur de droit à Emory University, Atlanta (États-Unis) (communication vidéo, 10-15 mn)Le Coran, le livre et le monde contemporain, Muhammad Shahrour, philosophe, Damas (Syrie)
  • Philosophie d’un islam post-fondamentaliste, Hassan Hanafi, philosophe, professeur émérite Université du Caire (Égypte)

Après-midi

Quatrième session : perspectives théologiques

Président de séance : Albert de Pury, Université de Genève

  • Le Coran n’est que guidance, Jamal Al Banna (1920-2013), penseur égyptien (hommage, montage vidéo, 10-12 mn)
  •  Vers une théologie de la sécularisation ? Mohamed Talbi, historien et islamologue, Tunis (Tunisie)
  • Apories et ouvertures : symboles et statuts du féminin en théologie islamique, Houria Abdelouahed, psychanalyste, université Paris Denis Diderot (France)
  • Une méthode non herméneutique pour notre temps : l’analyse littérale du Coran, Moreno Al Ajami, médecin, théologien français, doctorant en langue et littérature arabe, université de Strasbourg (France)

 

Lieux

  • Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), auditoire Jacques-Freymond (AJF) - 32 rue de Lausanne
    Genève, Confédération Suisse

Dates

  • jeudi 06 juin 2013
  • vendredi 07 juin 2013
  • samedi 08 juin 2013

Mots-clés

  • islam, religion et politique, sécularisation, citoyenneté, révolution sociale, printemps arabe

Contacts

  • Reda Benkirane
    courriel : rb [at] archipress [dot] org
  • Riccardo Bocco
    courriel : riccardo [dot] bocco [at] graduateinstitute [dot] ch

Source de l'information

  • Reda Benkirane
    courriel : rb [at] archipress [dot] org

Licence

Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Religion et État : logiques de la sécularisation et de la citoyenneté en islam », Colloque, Calenda, Publié le vendredi 17 mai 2013, https://calenda-formation.labocleo.org/248380

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