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Crises et acteurs de l'Europe
The economic crisis and EU actors
Publié le mercredi 14 janvier 2015
Résumé
La crise économique et financière qui secoue le continent européen depuis 2008 semble constituer, selon beaucoup d’observateurs, une situation sans précédent. Pourtant, force est de constater que la dégradation de la situation économique et financière n’a pas provoqué une crise institutionnelle. L’objectif de ce colloque, s’appuyant sur une démarche pluridisciplinaire (science politique, économie, histoire, sociologie), est d'une part d’étudier le travail politique d’interprétation de la situation économique et son lien avec la production d’impératifs d’action. D’autre part, il s'agira d'étudier les effets de ces constructions des problèmes économiques et financiers en termes de redistribution de ressources et de compétences entre acteurs et institutions et les effets sur l’action publique.
Annonce
Argumentaire
La dialectique de la crise du projet Européen et sa relance est un leitmotiv et un lieu commun qui a structuré le regard porté sur l’histoire des institutions européennes (CEE/UE et Conseil de l’Europe). La crise économique et financière qui secoue le continent européen depuis 2008 semble constituer, selon beaucoup d’observateurs, une situation sans précédent marquée par une stagnation, voire l’effondrement de certaines économies, les tensions entre Etats-membres, une incertitude sur le rôle et la finalité des institutions européennes et une crise du « modèle social » européen. Pourtant, malgré l’inflation des discours alarmistes, force est de constater que la dégradation de la situation économique et financière n’a pas provoqué une crise institutionnelle que l’on peut définir avec un minimum de rigueur comme une déstructuration général des transactions routinisées entre les acteurs impliqués dans le jeu politique européen qui provoque un effondrement des certitudes et des anticipations. Les institutions européennes continuent en effet à produire les normes et politiques publiques, la réélection du Parlement européen, la nomination d’un nouveau collège de Commissaires et le maintien, sous une forme modifié qui restent à être étudiée, des transactions sectorielles et intersectorielles témoignent d’une étonnante capacité de résistance et d’adaptation. L’adaptation des institutions semble s’être opérée sous des formes peu visibles, de façon plus pragmatique et moins globale que dans d’autres conjonctures critiques. Ces glissements semblent néanmoins avoir modifié en profondeur le rôle et la centralité de certains types d’acteurs et institutions à commencer par la Banque centrale européenne (BCE) et certaines DG de la Commission chargés de la surveillance de la discipline budgétaire et des équilibres macroéconomiques.
L’objectif du colloque ne consistera ainsi pas à alimenter un débat souvent normatif et téléologique déjà très fourni sur les divers constats et manifestations des multiples crises qui se superposent. Au contraire, s’appuyant sur une démarche pluridisciplinaire il s’agira d’étudier d’une part, le travail politique d’interprétation de la situation économique et son lien avec la production d’impératifs d’action et de remises en question du travail des institutions et leurs finalités. D’autre part, il s’agira d’étudier, plus en aval, les effets très réels de ces constructions du problème en termes de redistribution de ressources et de compétences entre acteurs et institutions et les effets sur l’action publique.
Ce faisant, il s’agit de dépasser à la fois les perspectives trop centrées sur les arrangements institutionnels et l’opposition binaire entre dynamiques endogènes et dynamiques exogènes. La crise économique n’exerce pas d’effets mécaniques, elle n’est pas une donnée naturelle, elle est d’abord l’objet d’un travail d’un ensemble d’acteurs intéressés qui la font exister. Ce travail d’interprétation et d’énonciation d’impératifs contradictoires a été marqué par une rapide succession de cycles de controverses et d’enchainements qui se sont ouverts et refermés avec une rapidité qu’il faut interroger : comment la crise des subprime étatsunien est devenu successivement une en crise bancaire européenne, une crise de la dette publique, en crise de l’Euro, une crise d’un modèle économique et une crise du projet européen ? Ces redéfinitions successives, opérées par de multiples acteurs et institutions construisent la nature du problème, sa saillance et sa temporalité, tout en le dotant de solutions « incontournables » et d’un ensemble d’instruments de connaissance et d’intervention visant à sa résolution. La crise procure ainsi des ressources nouvelles qui peuvent être mobilisées par des acteurs de l’Europe, être politisés ou dépolitisés pour renforcer leur position ou, au contraire, pour tenter de subvertir des relations de domination existantes au sein du champ de l’Eurocratie ou dans les pays membres.
Inscrire la crise et ses effets dans son contexte à la fois sociologique, économique, historique et institutionnel, permet de rendre intelligible un certain nombre de tensions et paradoxes de la construction européenne : pourquoi la crise, peut-elle agir comme un accélérateur de l’intégration européenne dans certaines conjonctures ? Pourquoi, au lieu de remettre en question des référentiels d’action, la crise peut-elle au contraire renforcer les modes de régulation de l’économie dominantes ? Est-ce que la crise économique provoque une césure dans la trajectoire institutionnelle européenne ou au contraire consolide des logiques existantes et des acteurs dominants ? Comment les acteurs européens sont-ils être appelés à recentrer/prioriser leurs activités entre eux, et dans les rapports avec les Etats ? Le renforcement de la subsidiarité peut-il participer à ancrer le réflexe européen des acteurs nationaux ou provoque-t-il une dilution des constructions européennes ? Comment s’opère la mise en récit qui transforme une crise exogène en enjeux endogènes ? Comment est-ce que la concurrence entre récits causaux se stabilise, ou, comment et par quel mécanisme est-ce qu’un débat Européen se referme ?
Axes thématiques
Le colloque sera organisé en 5 axes thématiques et se déroulera sur deux jours et demi
1) Penser historiquement la relation entre l’économie et la construction européenne
La justification économique a joué un rôle prééminent dans la légitimation du projet européen. Présenté dans les années 1950 comme une manière de créer une dépendance mutuelle rendant impossible la guerre entre les nations de l’Europe occidentale, la prospérité économique est devenue avec le temps une fin en soi. Le colloque propose d’examiner la relation entre les conjonctures économiques, les discours de légitimation, et les configurations des acteurs de l’Europe dans une perspective historique. Le recours à l’histoire pour penser la relation entre l’économie et les institutions peut être analysé dans une double perspective. D’une part, une comparaison diachronique avec d’autres conjonctures (par exemple crise de 1929, relance de l’économie européenne après 1945, fin du système de Bretton Woods, crises pétrolières, spéculations monétaires du début des années 1990, éclatement de la bulle internet au début des années 2000, crise des subprimes, etc.) pour établir la singularité ou la permanence de la relation entre la crise économique et budgétaire et l’Europe en construction. D’autre part, il s’agit d’étudier la manière dont l’histoire est convoquée par les acteurs de l’Europe depuis 2008 pour donner sens à la situation et mobiliser des précédents historiques pour justifier l’impératif de réformes ou au contraire de relativiser la conjoncture en l’inscrivant dans un cycle plus longue de crises et de relances.
2) L’interprétation et la mise en forme de la crise et ses effets sur la construction européenne
La séquence engagée à partir de l’éclatement de la crise des subprimes a donné lieu à un débat intense sur la nature de la crise et la définition des remèdes en termes de régulations économiques et équilibres institutionnels. La crise économique et budgétaire a aussi été une crise de l’intelligibilité de la relation entre les puissances publiques (européennes, mais aussi nationales et supranationales), les marchés financiers, l’économie « réelle » et les Etats. Ces débats qui ont opéré une conversion d’un choc exogène en enjeux endogènes au champ européen se sont cristallisés sur une succession de consensus provisoires qui ont été remis en cause avec une rapidité étonnante : desserrement des contraintes budgétaires pour relancer l’économie entre 2008 et 2010 avant un retour à une logique d’austérité pour épurer les finances publiques et regagner la confiance des marchés ; volonté d’encadrer strictement les marchés spéculatifs et paradis fiscaux affichée en 2008 et 2009 qui a cédé à une réglementation a minima. Loin de répondre à des contraintes objectives, ces lectures des problèmes et des solutions appropriés ont fait l’objet d’un travail politique s’adossant à des savoirs experts. Les contributions à cette session pourraient s’intéresser à l’analyse de ce travail de mise en forme et d’interprétation des causes et conséquences de la crise par des acteurs participant de manière permanente ou intermittente à l’Europe politique (acteurs politiques ou administratifs à plusieurs niveaux, discours journaliste, expert ou académiques…). Ils pourraient aussi comparer comment ces discours se réfractent dans les espaces publics nationaux ou étudier les conditions sociologiques et institutionnelles d’ouverture ou de clôture des controverses.
3) La crise économique comme ressource et comme levier d’une nouvelle répartition des compétences
Les analyses des réponses à la crise économique opposent ceux qui voient comme effet la réaffirmation des Etats et une relative marginalisation de la Commission européenne à ceux qui, au contraire, observent un renforcement du rôle de la BCE, de certaines directions générales de la Commission et des nouvelles agences européennes. Sans avoir donné lieu à une codification dans un traité, la crise semble ainsi avoir opéré un nombre de transferts de compétences tout en modifiant les équilibres entre les Etats membres, les groupes d’intérêt et des secteurs d’action des institutions européennes. Est-ce que la crise a ainsi consolidé la position des acteurs dotés d’une compétence économique (au sein des institutions, dans les études européennes ou dans les espaces d’expertise ou de production de commentaires sur l’actualité européenne) en marginalisant les acteurs avec des ressources plus juridiques et diplomatiques ? Comment s’opèrent les circuits de circulation des personnes, des idées et des instruments d’action entre les espaces académiques, experts et institutionnels ? Des contributions pourraient s’intéresser aux mécanismes de conversion de la crise en ressources institutionnelles ou politiques, les modifications des rapports de force entre acteurs et les circuits de légitimation et de délégitimation des acteurs et institutions. D’autres pourraient également aborder les effets des contributions volontaires des Etats et mises à disposition de personnel auprès des institutions européennes quant à la redéfinition des politiques européennes et nationales, ou encore les effets de politiques de priorisation, devant la Cour européenne des droits de l’homme. Enfin, d’autres encore pourront s’intéresser sur l’émergence de nouvelles tensions ou concurrences entre les niveaux de gouvernement entre la tentation de la renationalisation de certaines compétences ou l’inscription d’outils de régulation dans des échelles mondiales au détriment de l’échelle européenne.
4) Modèles et instruments des politiques économiques
Le quatrième axe vise à aborder la question posée sous un autre angle. Pour compléter l’analyse de la construction de la crise économique en problème européen et de ses effets sur les configurations d’acteurs et d’institutions, il est proposé ici de s’intéresser plus particulièrement à l’inscription des instruments de connaissance et d’action dans les dispositifs de régulation économique et financière. Le choix et la mobilisation de certains indicateurs dans la détermination du degré d’urgence et des problèmes les plus saillants participent ainsi à la construction des problèmes et leur résolution. Il s’agira autant dans cet axe de s’intéresser aux acteurs multiples qui agissent pour « équiper » les politiques publiques de certains instruments (économistes, think tanks, agences de notation, journalistes spécialisés, politiques, hauts fonctionnaires…) que d’analyser les controverses « techniques », ou effets des choix opérés (effets de seuil, conditionnalité, détermination d’objectifs et de réformes, etc.). Ces instruments opèrent ainsi des transferts de pouvoir et de légitimité en renforçant certaines institutions sans assise démocratique (BCE, DG Ecfin, FMI, Troika) et en promouvant certains problèmes publics (endettement, dépense publique, compétitivité) plutôt que d’autres (croissance, augmentation des inégalités, chômage, par exemple).
5) L’austérité et les transformations de l’action publique en Europe
Sous la pression des agences de notation et des marchés financiers, la crise économique a été interprétée comme une crise de l’Euro et de l’endettement des Etats plutôt qu’une crise de la croissance, de l’emploi ou de renforcement des inégalités sociales. Les institutions de l’Europe ont relayé et équipé une politique de réforme de l’Etat et un contrôle plus strict de la discipline budgétaire. Les mesures d’austérité et de réformes structurelles ont eu un double effet. Le premier est celui de l’éviction ou de la marginalisation d’un ensemble de politiques publiques de la « main gauche » de l’Etat ou en lien avec l’environnement des agendas publics. Le deuxième effet est celui de la pression exercée sur les Etats par les marchés et les institutions européennes à engager des réformes structurelles visant à réduire le poids de l’Etat, à déréguler les marchés de l’emploi et à réduire les prestations sociales. Paradoxalement, une crise économique qui a été initialement interprétée comme une défaillance du marché résultant d’une trop grande dérégulation a eu pour résultat, via l’endettement des Etats, une série de réformes libérales. Cette dernière session du colloque visera ainsi à analyser les effets induits par la crise économique sur d’autres politiques publiques (politiques sociales, culturelles, environnementales, etc.) à différentes échelles, et tentera d’analyser, sur la base de d’enquêtes empiriques, les ressorts du biais néo-libéral de la construction européenne.
Modalités pratiques d'envoi des propositions
Merci d’envoyer un résumé de votre contribution d’1 page et un CV synthétique à Jay Rowell (jay.rowell@misha.fr)
avant le 30 janvier 2015.
Le colloque international ProjEx Strasbourg School of European Studies aura lieu du 4 au 6 novembre, 2015
Comité scientifique et d’organisation
- Amélie Barbier-Gauchard,
- William Gasparini,
- Elisabeth Lambert Abdelgawad,
- Jay Rowell,
- Sylvain Schirmann
Catégories
- Études du politique (Catégorie principale)
- Sociétés > Économie > Économie politique
- Espaces > Europe
- Sociétés > Études du politique > Sociologie politique
- Sociétés > Études du politique > Politiques et actions publiques
Lieux
- Collège doctoral européen - 46 boulevard de la Victoire
Strasbourg, France (67)
Dates
- vendredi 30 janvier 2015
Fichiers attachés
Mots-clés
- acteurs de l'europe, crise économique, institution politique, action publique
Contacts
- Jay Rowell
courriel : jay [dot] rowell [at] misha [dot] fr
URLS de référence
Source de l'information
- Estelle Czerny
courriel : estelle [dot] czerny [at] misha [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« Crises et acteurs de l'Europe », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 14 janvier 2015, https://calenda-formation.labocleo.org/313801