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L’intelligence de la pauvreté
The intelligence of poverty
Usages de l’argent et des ressources en milieu populaire (XIXe-XXe siècles)
The uses of money and resources in popular environments (19th-20th centuries)
Publié le lundi 15 juin 2015
Résumé
La conception du rapport à l’argent et aux ressources des pauvres et des nécessiteux s’est modifiée au XIXe siècle. La revue Les études sociales se propose de revenir sur quelques-uns des aspects de cette « intelligence de la pauvreté » et du rôle qu’ont tenu (et tiennent encore) les sciences humaines et sociales dans cette ingénierie à visée réformatrice et populaire, à travers un numéro spécial à paraître fin 2016.
Annonce
Argumentaire
La conception du rapport à l’argent et aux ressources des pauvres et des nécessiteux s’est modifiée au XIXe siècle. Confrontée à une misère sans fin, la charité ordinaire a rencontré ses limites. Gens d’œuvres et des bureaux d’assistance, philanthropes et spécialistes de l’économie sociale et des sciences morales et politiques ont alors imaginé de compléter le don par une action plus rationnelle et éducative. Leurs maîtres-mots sont prévoyance et responsabilité. Désormais, il ne s’agit plus seulement d’aider le pauvre matériellement, mais de lui apprendre à gérer et à utiliser ses ressources au mieux, à devenir responsable du patrimoine, aussi modeste soit-il, qu’il peut se constituer par l’épargne. De leur côté, les pauvres eux-mêmes modifient leurs pratiques de l’argent : ils apprennent à épargner, à refuser l’usure et les prêts sur gages abusifs, à se prêter entre eux. Face à un système bancaire dont ils étaient exclus, se développent des établissements d’un genre nouveau qui permettent à l’argent des pauvres d’être thésaurisé et de circuler. Simultanément, on assiste à une régulation des dépenses par de nouvelles pratiques de consommation et de gestion des ressources. Une « nouvelle économie de la pauvreté » se constitue peu à peu.
Cette NEP – si l’on se risque à ce jeu d’initiales – a souvent été imaginée par des protagonistes des « sciences morales et politiques » ou de l’« économie sociale », premières appellations de nos modernes sciences humaines et sociales. Ceux-ci ont vu, dans cette application pratique, une manière de rendre leurs sciences utiles au plus grand nombre et, par là, à la société toute entière. En opposant la consommation éclairée et coopérative au commerce abusif de marchandises frelatées, le financement mutuel à l’usure scandaleuse et au système bancaire verrouillé, l’épargne garantie et avec intérêts au bas-de-laine dangereux et improductif, etc., les économistes sociaux ont voulu réformer le rapport des pauvres à leurs ressources et leur consommation. Du passage d’une misère sans issue et désespérée à une situation de dénuement en voie de dépassement, ils escomptaient, pour les populations pauvres, des améliorations matérielles, mais aussi des retombées morales. Frédéric Le Play et ses continuateurs ont été aux premiers rangs de cette nouvelle économie de la pauvreté qui mise plus sur les initiatives personnelles, individuelles et collectives, que sur le recours à l’Etat et à la charité chrétienne.
Cette économie, expérimentale à ses débuts, s’est progressivement institutionnalisée dans les sociétés occidentales. Elle s’incarne aujourd’hui dans des institutions et des professionnels qui ont pignon sur rue, mais se sont, parfois, éloignés de leurs buts et de leurs destinataires originels. Les classes moyennes se sont substituées aux classes pauvres comme agents et clients des institutions du tiers-secteur. Pourtant, par une récurrence remarquable, les processus qu’ont connu les sociétés occidentales au XIXe siècle tendent à se reproduire dans des sociétés appauvries qui, revenant aux sources de cette « intelligence de la pauvreté », découvrent les vertus du micro-crédit (voir, en particulier, les travaux récents d’Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo) ou de l’économie domestique (voir le courant de recherches impulsé par Florence Weber).
La revue Les Etudes sociales se propose de revenir sur quelques-uns des aspects de cette « intelligence de la pauvreté » et du rôle qu’ont tenu (et tiennent encore) les sciences humaines et sociales dans cette ingénierie à visée réformatrice et populaire, à travers un numéro spécial. On voudrait aborder ce dossier dans une double démarche pluridisciplinaire et transnationale à laquelle sont invités historiens, sociologues, économistes, juristes, etc. Tout en étant ancrée dans l’espace français, on voudrait favoriser une approche à l’échelle européenne, soit par comparaison d’objets similaires (voir la méthode développée par Catherine Maurer, La ville charitable. Les œuvres sociales catholiques en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris, 2012 ; de solides monographies peuvent servir de point de départ : pour Lyon, voir récemment Axelle Brodiez-Dolino, Combattre la pauvreté, Paris, 2013), soit par l’étude des circulations de pratiques et d’idées. C’est cette approche transnationale qui fait défaut aux synthèses disponibles (par exemple, André Gueslin, L’invention de l’économie sociale, Paris, 1998).
Ce dossier d’orientation historique et sociologique sera composé de contributions de 50 000/60 000 signes au maximum, relatives à la période 1820-1950. Des contributions sur l’actualité et le devenir de l’« intelligence de la pauvreté » au XXIe siècle, mises en perspective historique, sont également encouragées.
Axes thématiques
Quelques pistes indicatives, non exclusives d’autres propositions :
- Dispositifs et acteurs de terrain
Monographies de caisses d’épargne, monts-de-piété, banques populaires, mutuelles scolaires, caisses rurales, coopératives d’achats, restaurants populaires, jardins ouvriers, etc., montrant la diversité des mises en pratique de la NEP et de leur inspiration.
- Concepteurs et théoriciens
Ici, pourraient être présentés des promoteurs de la nouvelle économie de la pauvreté et leur conception, notamment leur philosophie de l’argent.
Il suffit de citer, pour le XIXè s., les noms de Delessert, Cavé, Ludovic de Besse, Rostand, Rayneri, Durand (pour la France), de Vigano, Raiffesen, Schulze-Delitzsch, Wollemborg, Luzzati (pour l’Allemagne et l’Italie), pour deviner l’ampleur de ce groupe des pionniers qui pourrait être élargi à des contemporains.
- Institutions et dirigeants
Une caractéristique de la NEP réside dans sa forte capacité à se fédérer et à s’institutionnaliser à un niveau meso, situé entre le « terrain » et ses acteurs, d’une part, l’Etat et son administration, d’autre part.
Ici, la focale ciblerait les institutions et leurs dirigeants, porteurs de la NEP, et leur étayage théorique et politique (par exemple, la Fédération nationale des coopératives de consommation dont le fonds est au Cedias-Musée social, les diverses mutuelles, Caisse des allocations familiales avec son réseau de conseillers en économie sociale et familiale, etc.)
- Réception de la NEP, usagers et bénéficiaires
On tâcherait, ici, à travers ces études de cas, d’estimer l’impact de la NEP. L’étude des usagers pourrait passer par des exemples d’emprunteurs en milieu urbain ou en milieu rural (voir les monographies de familles de l’Ecole de Le Play), ou de groupes sociaux bénéficiaires, appuyées sur les archives des secteurs concernés.
- Finalités et retombées morales
Les concepteurs et animateurs de la NEP cherchent-ils à enrichir le pauvre et/ou à l'éduquer au-delà d'une sphère purement économique, voire financière ?
- Partenaires et adversaires
Le rôle de l’administration et des collectivités locales vis-à-vis de la NEP, ainsi que celui des syndicats, des forces politiques et culturelles (églises, franc-maçonnerie) pourrait être ici traité. Mais aussi, les adversaires de cette nouvelle économie (banque traditionnelle, usuriers, philanthropie ancienne manière)
- Devenir et actualité
Ici figureraient des contributions sur les formes et pratiques contemporaines d’usages de l’argent et des ressources, allant jusqu’à la suppression de la monnaie (micro-crédit en France et à l’étranger ; banques alimentaires ; troc de services, etc.), qui prolongent ou renouent avec l’économie de la pauvreté historique
Modalités de soumission
Les propositions sont à adresser, sous forme d’un bref argumentaire accompagné de quelques éléments de présentation de l’auteur, à Antoine Savoye et Matthieu Brejon de Lavergnée
avant le 1er octobre 2015.
Après acceptation par le comité de rédaction des Études sociales, la première version du texte sera à rendre pour le 30 mars 2016. Publication : 2e semestre 2016.
Contacts
Comité de rédaction
- Frédéric AUDREN
- Stéphane BACIOCCHI
- Matthieu BREJON DE LAVERGNÉE
- Catherine BRUAN
- Fabien CARDONI
- Patrick CLASTRES
- Jérôme DAVID
- Nathalie DUVAL
- Bernard KALAORA
- Sébastien LAURENT
- Anthony LORRY
- Jean-François MARCHAT
- Gilles MONCEAU
- Dominique OTTAVI
- Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER
- Michel PRAT
- Jean-Yves PUYO
- Marie-Claire QUIN-DE STOPPANI
- Antoine SAVOYE
- Édouard SECRETAN et Hervé TERRAL
Catégories
- Histoire (Catégorie principale)
- Sociétés > Sociologie
- Sociétés > Économie > Économie politique
- Sociétés > Études des sciences > Histoire des sciences
- Esprit et Langage > Religions > Histoire des religions
- Périodes > Époque contemporaine
- Espaces > Europe
- Sociétés > Études du politique > Politiques et actions publiques
Dates
- jeudi 01 octobre 2015
Mots-clés
- pauvreté, philantropie, réforme sociale, économie sociale, tiers-secteur, épargne, micro-crédit, consommation
Contacts
- Antoine Savoye
courriel : antoine [dot] savoye [at] free [dot] fr - Matthieu Brejon de Lavergnée
courriel : matthieu [dot] brejon [at] gmail [dot] com
Source de l'information
- Matthieu Brejon de Lavergnée
courriel : matthieu [dot] brejon [at] gmail [dot] com
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« L’intelligence de la pauvreté », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 15 juin 2015, https://calenda-formation.labocleo.org/331382