Colloque international organisé par le CERDAP²,
avec le soutien de l’IUF et de la Columbia University.
Sciences Po Grenoble, 17-19 mars 2021
Argumentaire
L’empereur est mort, vive l’empire !
L’année 2021 sera, à n’en pas douter, prodigue en occasions de revenir sur la vie et l’œuvre de Napoléon, sur son legs et sa légende. Par contraste, l’idée, ici, est de prendre au pied de la lettre le prétexte de ces commémorations – le bicentenaire de sa mort -, pour mieux se pencher sur l’empire et son avenir. Voilà qui renouera avec le décentrement opéré au moment des 200 ans de sa naissance, lors du colloque d’octobre 1969 qu’Albert Soboul avait axé sur les transformations structurelles à l’œuvre dans la France napoléonienne. Cinquante ans plus tard, le trend historiographique est moins économique et social que culturel et transnational mais le début du XIXe siècle peut de nouveau inspirer des approches fondatrices pourvu de franchir une nouvelle étape dans les questionnements. De fait, les vingt dernières années ont d’ores et déjà été très riches en travaux sur le fait impérial napoléonien saisi dans toute sa diversité et ses dynamiques contradictoires, si bien qu’il importe moins désormais d’envisager les années 1800-1814 que de s’intéresser à ce dont l’empire napoléonien pouvait être porteur, comme à ses prolongements et rebonds.
Beaucoup a été dit sur l’héritage napoléonien, en France ou en Europe, mais, en vérité, l’héritage proprement impérial de l’ère napoléonienne reste peu exploré. Il y a pourtant des continuités ou des connexions à établir et susceptibles dès lors de nourrir la nouvelle histoire des empires, davantage tournée vers les comparaisons par-delà les siècles et les continents. Ce colloque entend ainsi encourager un double désenclavement puisqu’il s’agit de sortir l’histoire napoléonienne des bornes chronologiques et de l’espace géographique qui lui sont généralement assignés, et, ce faisant, de favoriser un rapprochement entre des historiographies qui se tournent le dos : cela implique d’identifier ce qu’il y a pu avoir de (proto/pré)colonial dans l’empire napoléonien, et de ne pas oublier ce qui, dans l’Algérie en voie de voie colonisation ou ailleurs, était encore très napoléonien. Deux directions s’ouvrent alors, propres à susciter des propositions de communication :
L’empire napoléonien à l’épreuve de l’histoire coloniale
C’est peu dire que l’expérience dramatiquement ambivalente de l’expédition d’Égypte a nourri toute une réflexion sur sa nature matricielle quant aux rapports avec l’Orient. De même, la promotion historiographique de l’espace des Antilles/Caraïbes, à la faveur des travaux sur l’esclavage, ont élargi, de façon irréversible les horizons de l’histoire napoléonienne, tandis que l’action d’un Herman W. Daendels à Java ou d’un Victor Hugues en Guyane est mieux prise en compte dans les synthèses. Il y a encore pourtant beaucoup à faire en matière d’histoire ultra-marine et comme possible miroir colonial des pratiques impériales. Ce colloque accueillera les communications qui pourront y contribuer : la « colonisation nouvelle » qui triomphera au XIXe siècle ne sera finalement pas la colonisation libre et commerciale, pensée et désirée dans le contexte de contestation de l’esclavage (B. Gainot, M. Dorigny), mais relèvera d’une conquête militaire et étatique dont la remise au goût du jour doit peut-être quelque chose à l’empire napoléonien. La postérité de ce dernier pourrait même être plus profonde à en croire les thèses iconoclastes ayant revisité l’impérialisme qui fut à l’œuvre sur le sol même de l’Europe. Vivement critiquées, pareilles incursions ou intuitions ont tourné court si bien que ce colloque pourrait permettre de relancer des pistes qui, sans nullement établir d’équivalence entre l’empire napoléonien et les empires coloniaux ultérieurs, sauraient s’approprier des thèmes et questionnements lancés par la New Imperial History, ceux par exemple qui ont donné corps aux studies of imperialism aux Manchester UP : le rapport au corps, à la santé et à la sexualité, les relations de genre, les identités, les jardins botaniques, la chasse et l’environnement, les stations thermales, ou encore l’empire at home – autrement dit, la façon dont les conquêtes ont modifié les comportements et représentations de leurs acteurs, et même jusqu’à l’imaginaire de ceux pour qui ces conquêtes restaient lointaines.
Modèle napoléonien et rebonds impériaux
Ce n’est pas le moindre des paradoxes de la figure de Napoléon qu’il ait inspiré une nouvelle génération de chefs ayant pourtant fait de la lutte contre l’emprise d’un empire le ressort de leur ascension (Toussaint Louverture, Simon Bolivar, Méhémet Ali). D’une grande portée, cette conception et cette incarnation du « leader » constituent assurément une dimension à explorer, tout en poussant à interroger, à un autre niveau, la réutilisation de qualités forgées durant les conquêtes napoléoniennes au service d’autres entreprises impériales.
On sait la place occupée par les fonctionnaires impériaux dans l’administration de la France post-napoléonienne ; on connait aussi le rôle joué dans la construction de leur nation par de jeunes cadres belges ou piémontais qui furent employés au service de l’empire français. Or on s’est peu interrogé par contraste sur la participation des agents de Napoléon à d’autres empires. Ces dix dernières années ont vu se multiplier les travaux sur les réseaux libéraux transnationaux, les engagements patriotes et l’importation d’expertise de ces vétérans en Europe méditerranéenne, dans le Nouveau Monde ou en Égypte. Cela ne doit pas pour autant faire oublier la contribution que leurs frères d’armes ont apportée à la formation d’un empire français en Algérie. De fait, si le phénomène est souvent remarqué – car comment ignorer le passé napoléonien d’un Savary, nommé commandant en chef des troupes en Afrique fin 1831 ? -, le théâtre algérien n’apparaît guère que comme un espace de rebond pour la carrière de glorieux anciens à la faveur de la monarchie de Juillet, sans vraiment s’intéresser à la transposition des savoirs et savoirs-faires que cela supposait. Que reste-il de l’expérience acquise durant les campagnes napoléoniennes dans l’action outre-Méditerranée de Berthezène, de Bugeaud, de Bourmont, de Clauzel, de Damrémont, de Drouet d’Erlon, de Randon, de Schauenburg, de Trézel, de Valée, ou de Voirol, pour ne citer que les officiers supérieurs ? Et le rapport Boutin de 1808 n’a-t-il pas eu sa part à la conquête d’Alger ? Les militaires ne sont pas les seuls concernés puisque des administrateurs, des policiers, des douaniers ont connu de tels parcours, retrouvant un poste outre-mer ou prenant la plume pour développer l’empire.
Mieux, ces Français ne sont pas les seuls à avoir été les héros - ou les bourreaux - oubliés de deux empires : des hommes de Wellington sont partis en Australie, des Espagnols mûris par la guerra de la Independencia española ont été envoyés en Amérique pour défendre l’empire, la longue guerre du Caucase a été en partie menée à ses débuts par des militaires russes sortis des guerres napoléoniennes. Davantage qu’un inventaire qu’il reste effectivement à compléter, ces situations offrent un observatoire de premier ordre pour appréhender, à leurs échelles intriquées, des mobilisations d’hommes et d’expériences.
Modalités de soumission
Les propositions de communication (c. 300 mots / 2000 signes + titre provisoire + bref CV) sont attendues, par courriel,
avant le 15 janvier 2020
Merci de les envoyer simultanément aux deux organisateurs :
- Aurélien LIGNEREUX (Sciences Po Grenoble) aurelien.lignereux@iepg.fr
- Thomas DODMAN (Columbia University) td2551@columbia.edu
Les acceptations, examinées par le comité scientifique, seront notifiées au 20 mars 2020.
Les organisateurs prendront à leur charge les frais d’hébergement, de restauration, et, au besoin, les frais de transport, mais les participants sont encouragés à solliciter un financement auprès de leurs institutions de rattachement.
Comité d’organisation
- Aurélien LIGNEREUX (Sciences Po Grenoble) aurelien.lignereux@iepg.fr
- Thomas DODMAN (Columbia University) td2551@columbia.edu
- Bigué DIENG bigue.dieng@cerdap2.fr
Comité scientifique
- Hélène BLAIS (ENS)
- Jacques-Olivier BOUDON (Univ. Paris-Sorbonne)
- Michael BROERS (Univ. of Oxford)
- Thomas DODMAN (Columbia University)
- Aurélien LIGNEREUX (Sciences Po Grenoble)
- Patricia LORCIN (University of Minnesota)
- Natalie PETITEAU (Univ. d’Avignon et des pays de Vaucluse)
- Jennifer SESSIONS (Univ. of Virginia)
Conference organized by the CERDAP
with the support of the IUF and Columbia University
Sciences Po Grenoble, 17-19 March 2021
Description
The Emperor is dead, long live empire!
To mark the bicentennial of Napoleon I’s death in 2021, this conference proposes to revisit the legacies of the Napoleonic Empire and rethink its relation to the Age of Empire. While we know a lot about the legend and afterlives of the Emperor himself, we are less familiar with what connects his conquests to imperial and colonial projects in the nineteenth century. Drawing both from the wealth of new research on the Napoleonic epoch published in recent years and broader disciplinary trends towards cultural and transnational histories, we hope to explore how The First Empire fed into the Age of Empire and, reflexively, how we might read it differently in the light of what would follow. By identifying connections, circulations, exchanges and lack thereof, we seek to decenter the period 1800-1814, to rethink its significance in a longer chronology and a wider geographical framework.
We encourage a wide range of proposals, and particularly ones that fit into these broad areas of interest:
- The Napoleonic empire in the light of the New Imperial History.
In what ways do the Napoleonic conquests prefigure the Age of Empire? Four decades after Orientalism, how do we understand the relation between Napoleon’s Egyptian campaign and nineteenth-century European constructions of “the Orient”? What is distinctly Napoleonic of the colonization of Algeria? How do recent works on slavery and capitalism force us to rethink the Napoleonic presence and legacy in the Caribbean? These are just some of the questions that emerge if we look either side of 1814 and seek to trace connections and ruptures across this traditional caesura in French history. Without denying a certain specificity to the Napoleonic epoch, it seems important to revisit it in the light of the historiographical renewal spurred by the New Imperial History—to ask new questions about gender and race relations, health and sexuality, environmental questions and how the empire existed “at home” in people’s daily lives and imaginaries.
- Imperial trajectories and the Napoleonic model.
While the French and European afterlives of Napoleonic administration and legal structures have been well studied, we know a lot less about the participation of Napoleonic actors in overseas empire-building after 1814. It is, of course, one of the great ironies of history that Napoleon inspired a long tradition of anticolonial fighters who went on to become charismatic military leaders in their own right (Toussaint Louverture and Símon Bólivar, only to name his most famous contemporaries).
But what of the officers and the soldiers, as well as the administrators, policemen, and scientists who, after the fall of the Empire, opted to recycle their expertise elsewhere, seizing opportunities offered by new transnational networks of mobility for people and ideas? It is worth asking what, exactly, the Napoleonic pedigree of so many soldiers and ex-soldiers who participated in the conquest of Algeria brought to the formation of France’s most important colony after the loss of Saint-Domingue (in terms of know-how, ideas and incorporated habitus, for example). Likewise, we should know more of what others brought to foreign powers whose influence they helped expand around the Mediterranean and across the Atlantic.
Nor should we focus exclusively on these French afterlives of empire: what of Wellington’s men who emigrated to build empire in Australia; of the Spanish guerrillas and Russian soldiers who, having defeated Napoleon, were sent to Latin America and the Caucasus to defend or expand their respective “national empires”? Without seeking to establish an exhaustive inventory of these examples, we hope to explore the significance of individual trajectories to the circulation of bodies and experiences in this early age of imperial globalization.
Submission Guidelines
Please submit proposals of c. 300 words with a brief CV to the conference organizers:
- Aurélien Lignereux (Sciences Po Grenoble) aurelien.lignereux@iepg.fr
- Thomas Dodman (Columbia University) td2551@columbia.edu
The deadline for submission is 15 January 2020.
Accepted speakers will be notified by late March 2020.
Accommodation and meals in Grenoble will be provided. Travel costs will be covered where necessary, but participants are urged to seek alternative funds for travel expenses if possible.
Organizing committee
- Aurélien LIGNEREUX (Sciences Po Grenoble) aurelien.lignereux@iepg.fr
- Thomas DODMAN (Columbia University) td2551@columbia.edu
- Bigué DIENG bigue.dieng@cerdap2.fr
Scientific committee
- Hélène Blais (ENS)
- Jacques-Olivier Boudon (Univ. Paris-Sorbonne)
- Michael Broers (Univ. of Oxford)
- Thomas Dodman (Columbia University)
- Aurélien Lignereux (Sciences Po Grenoble)
- Patricia Lorcin (University of Minnesota)
- Natalie Petiteau (Univ. d’Avignon et des pays de Vaucluse)
- Jennifer Sessions (University of Virginia)