AccueilL’argument de la filiation aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes anciennes et actuelles
Publié le mardi 05 septembre 2006
Résumé
Annonce
Ces systèmes de classification nous présentent des groupes discrets, apparemment définis par des règles de filiation – y compris cognatiques, comme dans le cas de l’Europe chrétienne – et soulignent souvent par exemple l’efficacité du puissant marqueur généalogique qu’est le sang : nobiliaire, racial … Pourtant les frontières de ces groupes s’avèrent mouvantes. Le caractère instable des groupes fixés en nature par le discours de la filiation soulève une série de problèmes sur lesquels porteront les contributions de ce colloque.
PROBLEMATIQUE
Se pose d’abord le problème de savoir jusqu’où le poids accordé par les analystes à la filiation en tant que « facteur opérant », ainsi que l’avance Lévi-Strauss (1983 : 135), correspond aux conceptions que s’en font des sociétés qui la placent au centre de leurs représentations de la totalité sociale. Se pose ensuite le problème du statut des représentations locales de la filiation, souvent en décalage avec les dynamiques sociales induites par la parenté même qui, dans une logique cognatique, vient souvent subvertir une vison du monde fantasmée dans des discours « filiationistes » qui contribuent à une vision essentialiste de l’ordre social en y projetant rigidité et permanence. Dans cette perspective une déconstruction du concept anthropologique de filiation nous semble s’imposer. Elle constituera l’arrière-plan de notre démarche.
Notons dès à présent que la notion de filiation s’inscrit doublement au cœur de la théorie anthropologique. En tant que « théorie de la filiation » – nous empruntons cette expression à L. Dumont qui désigne sous ce terme un courant théorique prioritairement britannique – elle se traduit par la conception de la filiation unilinéaire comme un principe « élémentaire » au sens durkheimien de définition de la structure sociale seul susceptible de constituer des groupes discrets. Mais elle contribue aussi, depuis L. H. Morgan, à la traduction épistémologique du projet anthropologique de comparaison des sociétés et des cultures qui inclut – et parfois projette – nos propres représentations de la filiation dans nos identités « modernes » (D. Schneider ). Nous aurons à réexaminer à l’occasion de ce colloque ces questions qui restent en suspens dans la théorie anthropologique contemporaine.
Revenant plus précisément à l’aire méditerranéenne où nous inscrivons nos recherches, nous aurons aussi à nous interroger sur le statut et l’efficacité d’une idéologie de la parenté plus ou moins officielle qui nous parle, en s’inscrivant dans des représentations locales soulignant le poids déterminant de certains apports des générations précédentes dans la constitution d’un individu, d’identités transmises par des vecteurs rigides, généralement masculins. L’interprétation de cette situation dans le cadre de la théorie lévistraussienne des « sociétés à maison » au sein desquelles la parenté a le statut, stratégiquement ou tactiquement, d’un instrument de légitimation d’unités sociales constituées préalablement, est une avancée mais elle nous semble rester insuffisante.
Si, en effet, ces unités parentales en question ne sont pas fixes, on ne résout pas le problème en les érigeant en sujet de l’action sociale ; il faut d’abord expliquer les conditions de leur constitution. Bien qu’elles s’inscrivent sous le régime de la filiation – et s’accompagnent souvent de formulations, voire d’injonctions, à organiser les unions en prenant en compte l’identité et la proximité généalogiques des conjoints – ces entités nommées semblent pourtant définies de facto par l’alliance et soumises aux corrections permanentes amenées par les pratiques matrimoniales. Le statut et les fonctions de la filiation nécessitent alors une définition plus rigoureuse du statut et des fonctions de l’alliance.
À cet égard ces statuts et fonctions ne se réduisent pas, dernier problème qui borne le champ de notre problématique, à l’organisation formelle des relations interpersonnelles que promeut la « méthode généalogique » ou à la stricte distinction de la consanguinité et de l’affinité. Ce problème ne peut être traité que dans des contextes précis que nous aborderons à l’occasion du colloque, mais dont nous pouvons poser quelques jalons. Ainsi s’il est indispensable de prendre en compte l’insistance locale sur le rôle essentialiste de la « filiation », il est tout aussi indispensable de mettre en évidence les logiques cognatiques en œuvre dans ces contextes. La parenté arabe par exemple n’opère pas une distinction stricte entre consanguinité et affinité (désignées par des termes construits sur une même racine NSB) et introduit une autre catégorie, celle de la transmission (« filiation » ?) par le lait. Dans le même ordre d’idée les formes de parenté élective (dont l’étude a déjà abordée dans Bonte, 1994), par le lait et le sang, ou encore de parenté spirituelle, d’adoption, etc., doivent être prises en considération dans l’analyse de la filiation. Plus généralement, les configurations qui sont fondées sur ce que l’on pourrait appeler la tension entre filiation et alliance n’obéissent pas à un schéma unique et s’organisent différemment selon les contextes, d’où l’intérêt d’explorer des concepts tels que celui de nasab arabe, d’anchisteia ou de phratrie grecques ou encore de parentèle chrétienne.
Dès lors les discontinuités entre le langage social de la parenté et la dynamique des groupes peuvent être plus ou moins marquées, plus ou moins déniées. Ce langage ne peut être réduit à des formules simples et exclusives telle que celle de l’expression du « droit », définissant les relations interpersonnelles, la transmission des biens, des statuts et des titres, ainsi que l’avance Lévi-Strauss (1983). Le point est certes d’importance et contribue en retour à une certaine formalisation du champ de la parenté, mais il n’en épuise pas tous les effets de sens qui s’organisent en référence aux valeurs qui fondent les origines, à celles de la distinction des genres et à d’autres valeurs définissant l’ordre social, à la gestion du sacré, etc. On pourrait parler de « fétichisme de la parenté » (reprenant ainsi une expression employée par Lévi-Strauss lui-même) pour désigner ces processus de réattribution de sens qui fournissent leur cohérence ultime à l’ordre de la parenté et souvent à l’ordre social.
PROGRAMME
Mercredi 4 octobre
8.30-9. : accueil des participants et ouverture
du colloque
9. -13 heure : première séance : Les récits de
fondation.
Scheid John. et Svenbro, Götternamen revisited. La
génération des dieux selon Hermann Usener
Conte Édouard, De l’androgynie à la filiation : récits adamiques et la
genèse de l’humain dans les traditions musulmanes
Bonte Pierre, Les figures d’Abraham et la question du fils aîné dans
les religions monothéistes
Glassner Jean-Jacques, Les régimes de succession dans les monarchies
mésopotamiennes
13-14.30. Repas au Ministère de la Recherche
14.30-18.30 seconde séance : La référence au sacré
et les lectures théologiques de la filiation
Brulé Pierre, Être-fils dans l’Iliade
Vartejanu-Joubert Madalina, La viabilité du fœtus et son rôle dans
l’établissement de la filiation dans la tradition rabbinique
Benkheira Hocine, Filiation, inceste et relations extra-matrimoniales
en islam.
Porqueres i Gené Enric, Les constructions de la parentèle dans le
christianisme.
Jeudi 5 octobre
9.-13 : troisième séance : Langages de la parenté et dynamique des groupes
Wilgaux Jérôme, Le groupes de filiation en Grèce ancienne : l'exemple
athénien.
Moreau Philippe., Alliance, filiation, et adoption dans les deux mythes de fondation de Rome
Walentowitz Saskia, Engendrement, filiation, germanité : figures
touarègues d'alliance dans la création des êtres humains et de leur
apparentement
Pedro de Montaner, Les marraneries européennes
pendant les XVIe et XVIIe siècles: manipulation d’un concept d’origine
hispanique.
13-14.30. Repas au Ministère de la Recherche
14.30-18.30 quatrième séance : Le fétichisme de la
parenté
Laurand Valery, Devenir fils : aperçu d'une histoire stoïcienne de
l'engendrement.
Van der Lugt M.., Parenté et filiation dans la théologie médiévale.
Roberto Bizzochi. Culture généalogique et légitimité de la filiation
dans l’Italie moderne.
Abélés Marc. Filiation et politique dans les démocraties contemporaines
18.30. : buffet
Vendredi 6 octobre
9.-13 : cinquième séance : Evolutions contemporaines
Fortier C. Tension et confusion entre social et biologique : pratiques
contemporaines de la filiation en islam sunnite
Bestard J., L’engineering biologique : la généalogie et la filiation
Melhuus M., What happened to the illegitimate child? Reflections on
issues of filiation in Norway as articulated through law and practice.
Brunet L., Chassé-croisé des modèles du droit de la filiation.
13-14.30. Repas au Ministère de la Recherche
14.30- 17. : discussion générale et clôture du
colloque.
Catégories
- Ethnologie, anthropologie (Catégorie principale)
Lieux
- Paris, France
Dates
- mercredi 04 octobre 2006
Contacts
- Pierre Bonte
courriel : bonte [at] ehess [dot] fr - Enric Porqueres i Géné
courriel : enric [dot] porqueres [at] ehess [dot] fr - Jérôme Wilgaux
courriel : j [dot] wilgaux [at] wanadoo [dot] fr
Source de l'information
- Wilgaux Jérôme
courriel : j [dot] wilgaux [at] wanadoo [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« L’argument de la filiation aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes anciennes et actuelles », Colloque, Calenda, Publié le mardi 05 septembre 2006, https://calenda-formation.labocleo.org/191844