La Méditerranée, interface économique et religieuse majeure, connaît une fréquentation croissante à partir du XVI^e siècle par des individus venus d'Europe septentrionale. La journée d'études a pour objet d'analyser les contacts ainsi noués à l'occasion de navigation commerciale, de voyages d'études ou d'installation dans les ports. Les thèmes de l'altérité, de l'appropriation, des usages partagés ainsi que des représentations, seront abordés. Il s'agit, in fine, d'interroger le processus de construction d'un territoire méditerranéen, perçu d'abord et avant tout dans sa dimension maritime, à travers le regard porté par des européens du nord.

Présentation

L'historien François Crouzet, dans un essai daté de 1985, avait intitulé l'un de ses chapitres "Quand la Méditerranée regarde l'Angleterre" (dans De la supériorité de l'Angleterre sur la France. L'économique et l'imaginaire, XVIIe-XXe siècles, Paris, Perrin). Au-delà du pastiche sans grand génie de cette formule, la rencontre se propose de renverser la perspective et d'explorer la perception de la Méditerranée par les "Nordiques". On entend par là des hommes venus des rivages de la Manche, de la Mer du nord et de la Baltique, ayant parcouru la Méditerranée voire s'étant installés sur ses rivages. A la catégorie attendue des "gens de mer" viennent s'ajouter des marchands, des scientifiques, etc... l'essentiel étant que tous ces témoins et acteurs aient connu une expérience maritime préliminaire dans le nord de l'Europe.

Le thème choisi pour la journée devrait permettre de se concentrer sur des pistes jusqu'ici peu explorées. La découverte d'un milieu marin différent (sans oublier le littoral), l'adaptation à un certain contexte commercial et géopolitique(la rencontre de trois continents, la caravane, la course barbaresque), l'appréhension de l'altérité sociale et culturelle (à bord des navires et dans les villes portuaires) constituent des pistes stimulantes qui n'ont pas vraiment été étudiées à l'aune de la présence des Nordiques dans la mer intérieure. Les historiens, par exemple, se sont jusqu'ici davantage intéressés à la problématique de la percée commerciale des marchands du nord, sans prêter beaucoup d'attention aux expérience personnelles vécues par les Nordiques. Alors que l'accroissement de leur nombre en Méditerranée a souvent été enregistré, la réflexion n'a pas fait suffisamment de place au regard porté et surtout sur son environnement.

Donner la parole aux individus permettrait de sortir du cadre habituel des institutions ou des considérations macroéconomiques. la réflexion pourrait ainsi s'organiser à partir du "ressenti méditerranéen", une fois franchi le détroit de Gibraltar, d'individus venus des rivages septentrionaux. Il est certain que partir du bas de l'échelle présente de nombreux écueils heuristiques, à commencer par le nombre insuffisant d'égo documents ou le risque de globaliser une parole personnelle. L'un des enjeux de la rencontre serait donc, sans qu'il s'agisse d'une question accessoire, d'engager une discussion sur un certain nombre de sources indirectes appelées à être mobilisées.

L'analyse de la confrontation de ces hommes avec une mer et des rivages nouveaux a naturellement pour objectif d'approfondir le dossier de la construction mentale et pratique d'un espace. C'est bien un tel investissement qui permet à l'espace de devenir un territoire, selon une conception aujourd'hui largement partagée par les chercheurs en sciences humaines. Les membres du laboratoire C.R.I.S.E.S. regroupés au sein du programme "Pouvoir, territoire, représentation", s'intéressent depuis longtemps à l'inscription des activités humaines dans un espace mouvant et en construction permanente. Il nous a semblé que le thème retenu pour la journée permettait de faire progresser la mise en commun de recherches parfois dispersées. Car au coeur même de la notion, si univoque, de "territoire", on trouve le thème privilégié de l'appropriation d'un espace par un groupe ou une société. Des Européens ayant grandi ou vécu sur des rivages septentrionaux ne sont-ils pas susceptibles de rendre compte de la construction d'un territoire proprement méditerranéen, ou en tout cas perçu comme tel ? Des angles de recherche comme les limites de l'espace considéré, la perception des paysages, la sensibilité aux "caractères" propres des sociétés locales, sont devenus classiques quand on s'intéresse au territoire. Le thème retenu pour la rencontre paraît propice à un renouvellement partiel de ces interrogations, dans la mesure où elle a pour objet d'étude un territoire maritime aux frontières mouvantes et à l'appropriation précaire.

Programme

9h00 : accueil des participants, ouverture de la journée d'étude

9h30-12h30 : L'expérience de l'insertion (première session, président Gilbert Buti)

• 9h30-10h00 : Louis Sicking (université Leyde), "L'expérience méditerranéenne des Néerlandais à l'époque moderne : au-delà de la conquête hollandaise de la Méditerranée de Braudel"
• 10h00-10h30: Christopher Denis-Delacour (université Aix-Marseille), "Les ressources institutionnelles des 'faibles' : les déboires du capitaine John Boyes à Civitavecchia, 1768"

10h30-11h00 : pause

• 11h00-11h30 : Lionel Dumond (université Montpellier III), "Négociants nordiques en Méditerranée : l'expérience de l'enracinement en Bas-Languedoc jusqu'au milieu du XIXe siècle"

11h30-12h30 : questions et bilan de la première session

12h30-13h30 : déjeuner

13h30-16h30 : La force des représentations (seconde session, président Stéphane Durand)

• 13h30-14h00 : Gilbert Buti (université Aix-Marseille), "Marins provençaux et nordiques en Méditerranée au XVIIIe siècle : regards croisés"
• 14h00-14h30 : Thierry Allain (université Montpellier III), "Retours d'expérience maritime : les navigateurs hollandais et la fortune de mer en Méditerranée au XVIIIe siècle"

14h30-15h00 : pause

• 15h00-15h30 : Patrick Louvier (université Montpellier III), "Les officiers de la Royal Navy et la Méditerranée au XIXe siècle"

15h30-16h30 : questions, bilan de la seconde session et de la journée