Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales
L’Afrique subsaharienne et les nouveaux christianismes. Économie morale des mutations du christianisme
Dossier 2015 de la revue Afrique contemporaine
Publié le jeudi 21 août 2014
Résumé
Un demi-siècle après les décolonisations, les Églises se sont recomposées, diversifiées, africanisées. Avec d'autres acteurs religieux en compétition, elles constituent une composante majeure des processus de changement social, culturel et politique qui affectent l'Afrique contemporaine, mais aussi les réseaux diasporiques implantés en Europe. Entre économie morale et économie matérielle, elles dessinent les contours d'une « Afrique indocile » où les nouveaux prédicateurs bousculent le champ politique, entre dynamiques prophétiques, mobilisation sociale et dérives sectaires.
Annonce
Argumentaire
La christianisation de l'Afrique subsaharienne est un phénomène multipolaire où le catholicisme a joué un rôle moteur entre le XVe et le XVIIIe siècle. Cette présence catholique a été concurrencée et complétée par l'essor des missions protestantes, dans le contexte des colonisations occidentales qui a vu la mise en place progressive de structures ecclésiales autochtones, mais encadrées par les grandes « Églises-mères ». Ce temps est loin aujourd'hui. L'époque est révolue où le christianisme africain semblait (à tort ou à raison) synonyme de colonisation. Les Églises africaines reçoivent moins de missionnaires qu'elles n'exportent de prophètes, prédicateurs et prêtres vers l'Europe.
Un demi-siècle après les décolonisations, les Églises se sont recomposées, diversifiées, africanisées. Avec d'autres acteurs religieux en compétition (islam, animisme), elles constituent une composante majeure des processus de changement social, culturel et politique qui affectent l'Afrique contemporaine, mais aussi les réseaux diasporiques implantés en Europe. Entre économie morale et économie matérielle[1], elles dessinent les contours d'une « Afrique indocile »[2] où les nouveaux prédicateurs bousculent le champ politique, entre dynamiques prophétiques, mobilisation sociale et dérives sectaires.
Ces recompositions ont pris plusieurs formes, dont le développement d'Églises afro-africaines, nées sur le continent sur la base de synthèses et expressions prophétiques endogènes (Tokoïstes, Kimbanguistes, Harristes...). Elles ont fait l'objet, ailleurs, d'études approfondies[3]. L'objet de ce dossier est plutôt de se focaliser sur les reconfigurations chrétiennes postcoloniales à l'intérieur du catholicisme et du protestantisme, en particulier dans les nouvelles formes d'expression et de socialisation charismatiques, pentecôtistes et évangéliques.
Le périmètre géographique est l'Afrique subsaharienne, avec une dominante francophone, mais sans exclure une ouverture vers les espaces anglophones. Les réseaux religieux ne s'arrêtent pas aux frontières linguistiques !
L'objectif de ce dossier est double. Il vise d'abord à balayer le spectre diversifié de ces recompositions du paysage chrétien francophone subsaharien contemporain, en privilégiant les nouveaux acteurs issus des terrains protestants et catholiques.
Sur la base de cet état des lieux, il importera d'évaluer les logiques d'impact de ces Églises « nouvelle vague », dans le contexte d'incertitude et d'urgence post-printemps arabe qui caractérise de nombreuses sociétés subsahariennes francophones, marquées par les effets déstabilisateurs de la chute du régime libyen[4]. Trois questions focaliseront en particulier l'analyse.
Un nouveau panafricanisme chrétien ?
L'Afrique subsaharienne francophone n'est plus un pays « missionné » par les chrétiens européens. Elle alimente désormais l'Europe en prêtres, pasteurs, prophètes et prophétesses, fidèles et chantres. Les "chrétiens africains en Europe" sont porteurs d'un nouveau messianisme, non sans inflexions panafricaines, qui se réfracte notamment dans les slogans des congrès "Afrique élève l'Europe" étudiés par Sandra Fancello[5]. Comment se régulent ces nouvelles constellations diasporiques africaines, quel rôle jouent-elles dans les re-négociations identitaires avec les anciennes nations colonisatrices, quels sont les registres de ce panafricanisme chrétien inédit, quel entrepreneuriat dans les médias (chaînes de télévision, internet...) ?
Entre « Églises Providences » et dérives sectaires
Cédric Mayrargues fait observer que dans la « diversité des trajectoires suivies par les États à partir du milieu des années 1990 (consolidation démocratique, restauration autoritaire, crise politique, conflit armé, etc.), un dénominateur commun réside dans la présence à peu près généralisée d’acteurs, d’institutions, de symboles, d’imaginaires religieux dans les espaces publics »[6]. Cette prégnance du religieux dans l'espace politique conventionnel n'est pas si nouvelle. Mais elle s'est redéfinie sur une base multipolaire, et souvent présentée comme une alternative aux structures étatiques existantes, jugées défaillantes : des « Églises Providences » en somme, agents économiques influents des sociétés civiles émergentes. Cette offre s'inscrit dans une dynamique entrepreuneuriale, entre foi et business, qui n'est pas exempte de dérivessectaires : pressions financières, surenchère au charisme, marché des miracles..., c'est parfois à une « prédation symbolique » qu'on assiste, au détriment des plus démunis.
Pluralisation ou « choc des civilisations » ?
Nourris par les dynamiques contemporaines de pluralisation, de globalisation et de politisation, les nouveaux acteurs chrétiens de la scène africaine s'inscrivent enfin dans un paysage de plus en plus compétitif. Terre de mission pour les zélotes évangéliques, l'Afrique subsaharienne francophone voit l'islam et le christianisme réinterroger leurs frontières séculaires à la lumière de nouveaux prosélytismes, entre cohabitation et confrontation. Les règlements de compte interconfessionnels en République centrafricaine, dans le contexte de l'opération Sangaris mise en place à partir du 5 décembre 2013, illustrent-ils le paradigme controversé avancé par Samuel Huntington, celui d'un « choc des civilisations » opposant grands blocs culturels et religieux ?
Sans oblitérer les logiques confrontationnelles et concurrentielles, on sera attentif à nuancer un tableau beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît : le facteur néo-religieux peut aussi jouer un rôle dans la résolution des conflits, le recyclage d'ancien chefs militaires... Par-delà les tensions, des transversalités travaillent également les espaces confessionnels (subjectivation, promotion du choix, etc.), et une vaste gamme d'options caractérise aujourd'hui le nouveau paysage religieux subsaharien francophone, sur le mode d'une pluralisation croissante où les nouveaux acteurs chrétiens interrogent les frontières des « laïcités africaines »[7].
[1]Cf. le numéro 231 d'Afrique Contemporaine (2009/3) consacré à « Économie morale et mutations de l'islam », dirigé par Jean-Louis Triaud et Léonardo Villalon.
[2]Achille Mbembe, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988.
[3]Voir par exemple « Christianismes du Sud à l'épreuve de l'Europe », Archives de Sciences Sociales des Religions, n°143, 2008/3.
[4]Cf. le dossier « Quelles retombées des printemps arabes sur l'Afrique subsaharienne ? », Afrique contemporaine (2013/1), n°245.
[5]Sandra Fancello & André Mary (dir.), Chrétiens africains en Europe, Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations, Paris, Khartala, 2010.
[6]Cédric Mayrargue, « Pluralisation et compétition religieuses en Afrique subsaharienne », Revue internationale de politique comparée, Revue Internationale de Politique Comparée, 2009/1, vol. 16, p.83-84.
[7]Gilles Holder et Moussa Sow, L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, IRD et éditions Tombouctou, 2014.
Modalités de soumission
Faire acte de candidature, en envoyant une courte note d’une page (problématique du texte ; rapide exposé du déroulé de l’argumentaire ; rapide exposé des données / terrains mobilisé(e)s).
au plus tard pour le 28 septembre 2014.
La soumission des appels à propositions se fait sur la plateforme Editorial Manager
Vous pouvez nous contacter pour toutes précisions aux adresses suivantes : sebastienfath@sfr.fr et fortuiti@afd.fr
Calendrier
Le calendrier de ce dossier, susceptible de modifications est le suivant :
- Envoi des propositions au plus tard le 28 septembre 2014
- Réponse de la rédaction d’Afrique contemporaine aux auteurs, au plus tard le 4 octobre 2014.
- Envoi d’une première version des articles pré-sélectionnés le 15 décembre 2014.
- Publication du numéro, 1er semestre 2015.
Les articles devront avoir un format de 35 000 signes espaces compris (notes de bas de page et bibliographie comprises) dans leur version destinée à la publication. Ils suivront la procédure d’évaluation scientifique auprès de deux référés anonymes et du comité de lecture d’Afrique contemporaine.
Coordination
- Sébastien Fath, Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL) UMR 8582-CNRS/EPHE
- Jean-Bernard Véron
- Raphaël Jozan
- Jean-Pierre Listre
Argument
Many religious missionaries have spread Christianity throughout sub-Saharan Africa, with Catholicism the driving force from the 15th century to the 18th. During the period of European colonization, fast-growing Protestant missions competed with and completed the Catholic presence; indigenous ecclesiastical structures gradually formed under the watchful eye of grand “Mother Churches.” That was long ago. The time has passed when African Christianity seemed to be – correctly or incorrectly – synonymous with colonization. African churches now receive fewer missionaries from Europe than the number of prophets, preachers and priests they export to Europe.
Christian churches in Africa have diversified, regrouped and became more African in the half-century since colonialism ended. They compete with other religions – Islam and animism – and constitute a major component of the social, cultural and political changes affecting both contemporary Africa and the African diaspora in Europe. The churches, existing between a moral and a material economy (Triaud, Villalon, 2009), shape an “indocile Africa” (Mbembe 1988) where new preachers upset the political status quo with prophetic exhortations, social mobilizations and sectarian excesses.
These ecclesiastical regroupings have taken many forms, including the development of Afro-African churches; born on the continent, they synthesize practices and endogenous prophetic expressions, such as Tokoism, Kimbanguism and Harrisism. These new churches have been studied extensively (see e.g., Henry and Noret 2008). This special issue aims to focus more on post-colonial reconfigurations of Catholic and Protestant religious practice, particularly the new charismatic, Pentecostal and evangelical forms of expression and socialization.
This special issue will primarily center on Francophone sub-Saharan Africa, without excluding Anglophone areas, since religious networks do not stop at linguistic borders!
The aim is twofold: first describe and analyze the ways these contemporary, Francophone, sub-Saharan Christian religious forms develop, highlighting those growing from Protestant and Catholic roots. Second, use this analysis to evaluate the social impacts of “New Wave” African churches within a post-Arab-Spring context, where uncertainty and urgency characterizes many French-speaking sub-Saharan societies that were destabilized by the fall of the Libyan regime (Véron 2013). The analysis will focus on three questions:
Is there a new Christian pan-Africanism?
Francophone sub-Saharan Africa is no longer a region evangelized by European Christians. Africa now sends priests, pastors, prophets, believers and eulogists to Europe. African Christians living in Europe promote a new Messianism, one with with pan-African overtones, as seen in the congregational slogan, “Africa raises Europe” studied by Fancello and Mary (2010). How will these new constellations of the African diaspora self-regulate? What role will they play in renegotiating identities with former colonizers? What register will be used by this never-before-seen Christian pan-Africanism? How media entrepreneurs do emerge on the television and Internet ?
What lies between “welfare churches” and sectarian deviations?
Mayrargues (2009) observed that “starting in the mid-1990s, a generalized public presence of religious actors, institutions, symbols, and meanings was the common denominator in the various paths countries followed, whether strengthening democracy, restoring authoritarianism, experiencing political crises, or suffering armed conflict.” The clergy’s influence in conventional politics is not all that new. However, the clergy redefined itself on a multi-polar basis, often presenting itself as an alternative to apparently dysfunctional state institutions. In short, “welfare churches” act as influential economic agents in an emerging civil society. Their involvement stems from a part faith- and part business-based entrepreneurial force that is not exempt from sectarian improprieties, such as financial pressure, excessive charisma or miracle markets. Sometimes we see “symbolic predation” that harms the most disadvantaged.
Are civilizations clashing or multiplying?
New Christians in Africa, sustained by globalization, multiplication, and politicization, operate in an increasingly competitive landscape. Francophone Sub-Saharan Africa, a target for evangelical zealots, sees Islam and Christianity renegotiate their secular borders in light of a renewed proselytism, drawing them somewhere between cohabitation and confrontation. Does the settling of sectarian scores in the Central African Republic in the midst of Operation Sangaris, a French peacekeeping mission set up on 5 December 2013, illustrate the controversial “clash of civilizations” paradigm advanced by Huntington (1992), where great cultural and religious blocs oppose one another?
In this special issue, we want to add nuance to a picture that is far more complicated than it seems, without erasing the confrontational and competitive rationales shaping it. Neo-religious factors can also play a role in resolving conflicts, such as by recycling former military leaders, for instance. Beyond fomenting tensions, religious spaces can also foster subjectification and promote choices. Ever-increasing multiplication means that the Francophone sub-Saharan African religious landscape holds many options for new Christians, explorers on the frontier of “African secularisms” (Holder and Sow 2014).
Bibliography
Triaud, J-L., Villalon, L., J-B. (ed.) (2009). Economie morale et mutations de l'islam. Afrique Contemporaine, 231.
Achille Mbembe, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988.
Christine Henry et Joël Noret, "Le Christianisme Céleste en France et en Belgique" in special issue "Christianismes du Sud à l'épreuve de l'Europe", Archives de Sciences Sociales des Religions, n°143, 2008/3.
Jean-Bernard Véron. "Quelles retombées des printemps arabes sur l'Afrique subsaharienne ?" Afrique contemporaine (2013/1), n°245.
Sandra Fancello & André Mary (dir.), Chrétiens africains en Europe, Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations, Paris, Khartala, 2010.
Cédric Mayrargue, "Pluralisation et compétition religieuses en Afrique subsaharienne", Revue internationale de politique comparée, Revue Internationale de Politique Comparée, 2009/1, vol. 16, p.83-84.
Samuel P. Huntington (1996). The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. New York: Simon & Schuster.
Gilles Holder et Moussa Sow, L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, IRD et éditions Tombouctou, 2014.
Guest editor: Sébastien Fath, Researcher in the Societies, Religions and Secularism Unit of the French National Centre for Scientific Research (or CNRS)
Guidelines submission
Interested authors will submit a one-page précis, describing the topic, argument outline (in brief), and the relevant data or fieldwork; submissions are due
by 28 September 2014.
Please submit your response to this call for papers via our online Editorial Manager
For questions or clarifications, contact Isabelle Fortuit <fortuiti@afd.fr>
Timeline
This special issues has the following timeline (subject to change):
The editors will select article topics and authors by 04 October 2014.
Selected authors must submit a first draft of their articles by 15 December 2014.
The special issue will be published in the first quarter of 2015.
In their published versions, the articles will be 35,000 characters in length, including spaces, footnotes and bibliography. Each article will be blind peer-reviewed by two experts in the material.
Coordinator
- Sébastien Fath, Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL) UMR 8582-CNRS/EPHE
- Jean-Bernard Véron
- Raphaël Jozan
- Jean-Pierre Listre
Catégories
- Afrique (Catégorie principale)
- Espaces > Afrique > Afrique du nord
- Espaces > Afrique > Afrique subsaharienne
- Esprit et Langage > Religions > Sociologie des religions
- Périodes > Époque contemporaine > XXe siècle
- Périodes > Époque contemporaine > XXIe siècle
- Sociétés > Ethnologie, anthropologie > Anthropologie religieuse
- Périodes > Époque contemporaine > Prospectives
Dates
- dimanche 28 septembre 2014
Fichiers attachés
Mots-clés
- Afrique, christianisme, églises, diaspora, prophétisme, pentecôtisme, évangélisme, islam
Contacts
- Isabelle Fortuit
courriel : fortuiti [at] afd [dot] fr - Sébastien Fath
courriel : sebastienfath [at] sfr [dot] fr
Source de l'information
- Nicolas Courtin
courriel : courtinn [at] afd [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« L’Afrique subsaharienne et les nouveaux christianismes. Économie morale des mutations du christianisme », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 21 août 2014, https://calenda-formation.labocleo.org/297078