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Lexique, sensations, perceptions et émotions
Lexicon, Sensations, Perceptions and Emotions
Lexis (Journal in English Lexicology) nr 13
Lexis (Journal in English Lexicology) n°13
Publié le jeudi 08 mars 2018
Résumé
On pourra s’interroger sur le lien entre linguistique et neurosciences : dans quelle mesure les études linguistiques peuvent-elles se fonder sur la recherche en neurosciences ? À l’inverse, que peuvent-elles apporter aux neurosciences ? Ce domaine du lexique et les champs lexicaux concernés peuvent-ils donner lieu à une approche clinique ? Quels en sont les enjeux et les applications ?
Annonce
Présentation
La revue électronique Lexis - revue de lexicologie anglaise mettra en ligne en 2019 son numéro 13, co-dirigé par Stéphanie Béligon (Université Paris-Sorbonne), Valérie Bourdier (Université Paris-Est Créteil), Rémi Digonnet(Université Jean Monnet – Saint-Étienne) et Christelle Lacassain-Lagoin(Université de Pau et des Pays de l’Adour). Celui-ci sera consacré au thème « Lexique, sensations, perceptions et émotions ».
Argumentaire
Sensations, perceptions et émotions ont déjà donné lieu à un certain nombre d’études qui portent sur les verbes de perception (voir notamment Franckel [2004], Gisborne [2010], Khalifa & Miller [2010], Lacassain-Lagoin [2007], [2012], Mérillou [2013], Miller [2008], Paulin [2003], Wierzbicka [2010]), sur les noms et adjectifs de sentiments (voir Anscombre [1995], [1996], Novakova & Tutin [2009], Whitt [2010], Wierzbicka [1999]) ou encore sur les métaphores relatives à l’un ou l’autre de ces domaines (Augustyn & Bouchoueva [2009], Digonnet [2016]). Cependant, peu d’auteurs se sont intéressé/es aux procédés linguistiques, notamment lexicaux, qui sont susceptibles de mettre en évidence les liens entre sensations, perceptions et émotions. C’est donc ce que propose de faire le numéro 13 de Lexis.
La sensation peut être définie comme un « [p]hénomène par lequel une stimulation physiologique (externe ou interne) provoque, chez un être vivant et conscient, une réaction spécifique produisant une perception » (une perception étant elle-même définie comme une « opération psychologique complexe » – ou son résultat – « par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles, se forme une représentation des objets extérieurs et prend connaissance du réel », selon le TLFi) et, par extension, comme une « [c]onnaissance immédiate et intuitive » (TLFi). Une sensation découle donc de l’environnement du sujet percevant et donne lieu à une perception, qui correspond au traitement cognitif que fait l’individu en question des stimuli qu’il reçoit (ex. une sensation de faim, une odeur de rose) ; des affects peuvent alors en découler (ex. une sensation / odeur agréable / désagréable). Cet enchaînement semble alors tripartite en ce qu’il intègre environnement, corps et esprit, et affect.
De ce fait, la sensation n’est pas sans rappeler l’émotion, entendue comme « [c]onduite réactive, réflexe, involontaire vécue simultanément au niveau du corps d’une manière plus ou moins violente et affectivement sur le mode du plaisir ou de la douleur » (TLFi). Les deux types de phénomène mettent en jeu le corps de l’expérient et semblent aussi répondre à une même finalité, la survie de l’individu et son adaptation à l’environnement. Il en va de même pour la perception, qui « permet de connaître notre environnement par la détection d’informations utiles à nos gestes, à nos déplacements et aux interactions avec nos semblables. Cette connaissance de l’environnement assure nos besoins adaptatifs. […] Les capteurs sensoriels portés par les systèmes perceptifs (organes sensoriels, appareil locomoteur, cortex), à l’interface entre le corps et l’environnement permettent de capter les énergies. Dans ces énergies, les systèmes perceptifs doués de mouvement vont saisir l’information, c’est-à-dire les propriétés de l’environnement qui sont pertinentes par rapport à nos intentions ». [Luyat 2014 : 21]
Quant aux émotions, Damasio [1999 : 71] considère que ce sont « des ensembles compliqués de réponses chimiques et neuronales, qui forment une configuration ; toutes les émotions ont telle ou telle sorte de rôle régulateur à jouer, contribuant d’une manière ou d’une autre à la création de circonstances avantageuses pour l’organisme qui manifeste le phénomène ; les émotions ont trait à la vue d’un organisme, à son corps pour être précis, et leur rôle est d’aider l’organisme à se maintenir en vie ».
On s’aperçoit que ces liens indissociables entre phénomènes se reflètent dans le lexique qui exprime sensations, perceptions et émotions. On peut penser par exemple au verbe sentir en français, qui renvoie au sens de l’olfaction tandis que ses dérivés se sentir ou ressentir renvoient notamment aux émotions ; la racine même du nom sensation est semblable à celle de sentiment. En anglais, le verbe feel peut se rapporter aux sensations, à la perception tactile et proprioceptive, ainsi qu’aux émotions. Les métaphores exprimant les émotions ont souvent trait aux perceptions et à l’état corporel : voir rouge, avoir le cœur léger, avoir la moutarde qui vous monte au nez, avoir des sueurs froides. Quant aux métaphores exprimant les sensations, elles font parfois appel aux émotions : une couleur triste, une mélodie joyeuse.
Sensations, perceptions et émotions se caractérisent par un ensemble de réactions physiologiques plus ou moins conscientes dues à l’interaction avec l’environnement ; elles diffèrent cependant dans leur réception. La sensation paraît se situer en amont de la perception ; elle peut être source ou cause (ex. cette odeur forte l’a interpellée, cette douce mélodie l’a apaisée) selon la perspective choisie. L’émotion, quant à elle, semble se placer en aval de la perception ; elle est synonyme d’effet (ex. il a l’air piteux) ou de conséquence (ex. cette mélodie l’a rendu triste). Cette apparente chronologie tripartite sensation-perception-émotion n’est-elle pas pour autant remise en question par le discours lorsqu’une sensation ou perception est caractérisée d’après l’effet qu’elle produit (ex. une odeur désagréable, un bruit assourdissant, unecouleur apaisante), ou lorsqu’une émotion est exprimée par sa source (ex. joie de vivre, bonheur d’aimer, plaisir d’offrir) ?
En effet, la perception, processus plus complexe que la sensation qu’elle implique d’emblée dans une forme organisée par l’expérient (voir notamment la Théorie de la Forme ou Gestalt), représente la « compénétration du psychique et du physiologique » (Merleau-Ponty [1945]) ; elle est ainsi apte à se situer à l’interface des phénomènes sensoriels, émotionnels et cognitifs. Talmy [2000 : 139-140] met d’ailleurs en évidence l’intrication de ces phénomènes dans son concept de « ception » : « [...] we adopt the notion of ception here to cover all the cognitive phenomena, conscious and unconscious, understood by the conjunction of perception and conception. While perhaps best limited to the phenomena of current processing, ception would include the processing of sensory stimulation, mental imagery, and currently experienced thought and affect ».
Le lexique paraît être un objet d’étude privilégié pour traiter de ces questions, qui peuvent être envisagées sous divers angles. Les contributions pourront proposer une étude des lexèmes mais aussi de leur syntaxe et des métaphores en jeu. Parmi les problématiques traitées dans ce numéro, on peut envisager les pistes suivantes, qui ne sont ni exclusives, ni exhaustives :
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Quelles sensations, quelles perceptions et quelles émotions ? Existe-t-il des lexèmes spécifiques à l’expression de chacun des phénomènes ? Certaines modalités sensorielles bénéficient-elles d’un lexique plus riche et plus varié que d’autres ? Comment cela peut-il s’expliquer et quelles conclusions en tirer ?
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Quels sont les indices discursifs qui permettent de déterminer le sens particulier d’un lexème renvoyant aux sensations, perceptions et émotions ? Le co-texte s’avère-t-il essentiel ou accessoire dans le sens véhiculé par un lexème ?
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Quelle porosité entre les lexiques dédiés aux sensations, aux perceptions et aux émotions peut-on observer ? Certains lexèmes renvoient-ils à ces trois phénomènes à la fois ? Quelle(s) représentation(s) sémantique(s) en proposer alors ?
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Est-il possible de déceler des récurrences dans la polysémie des lexèmes renvoyant aux sensations, aux perceptions et aux émotions, notamment dans une perspective contrastive ? Faut-il d’ailleurs parler de polysémie ou d’homonymie ?
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D’un point de vue diachronique, l’évolution des lexèmes exprimant sensations, perceptions et émotions est-elle comparable ?
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D’un point de vue méthodologique, comment étudier le lexique des sensations, perceptions et émotions ? À quels types de corpus le linguiste peut-il faire appel ? Quelles techniques d’investigation peuvent ou doivent être développées (linguistique de corpus, études cliniques, approches quantitatives, etc.) ? À quelles difficultés se heurte le TAL concernant ces lexèmes et comment les dépasser ?
On pourra s’interroger sur le lien entre linguistique et neurosciences : dans quelle mesure les études linguistiques peuvent-elles se fonder sur la recherche en neurosciences ? À l’inverse, que peuvent-elles apporter aux neurosciences ? Ce domaine du lexique et les champs lexicaux concernés peuvent-ils donner lieu à une approche clinique ? Quels en sont les enjeux et les applications ?
Bibliographie
Anscombre Jean-Claude, 1995, « Morphologie et représentation événementielle : le cas des noms de sentiment et d’attitude », Langue française, n°105, 40-54.
Anscombre Jean-Claude, 1996, « Noms de sentiment, noms d’attitude et noms abstraits », Les noms abstraits : histoire et théorie, Coll. Sens et structures,Villeneuve D’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 257-273.
Augustyn Madgalena & Bouchoueva Ekaterina, 2009, « Les collocations métaphoriques des noms de colère en français, russe et polonais », inNovakova Iva & Tutin Agnès (éds.), Le Lexique des émotions, 191-205.
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Damasio Antonio R., 2010, L’Autre moi-même – Les nouvelles cartes du cerveau, de la conscience et des émotions, Paris, Odile Jacob.
Damasio Antonio R., 2005, Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions, Paris, Odile Jacob.
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Wierzbicka Anna, 2010, Experience, Evidence, and Sense. The Hidden Cultural History of English, Oxford, Oxford University Press.
Wierzbicka Anna, 1999, Emotions across Languages and Cultures: Diversity and Universals, Cambridge University Press, 63-64.
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Calendrier
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10 juillet 2018 : abstracts à envoyer à Lexis
- Septembre 2018 : avis aux auteurs
- 1er novembre 2018 : réception des articles
- Novembre et décembre 2018 : relecture des articles par les membres du Comité scientifique
- Janvier 2019 : corrections par les auteurs
- 1er février 2019 : réception de la version définitive des articles
Catégories
- Langage (Catégorie principale)
- Esprit et Langage > Langage > Linguistique
Dates
- mardi 10 juillet 2018
Mots-clés
- lexique, lexicologie, anglais, sensation, perception, émotion, affect, linguistique
Contacts
- Denis Jamet
courriel : lexis [at] univ-lyon3 [dot] fr
URLS de référence
Source de l'information
- Denis Jamet
courriel : lexis [at] univ-lyon3 [dot] fr
Licence
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Pour citer cette annonce
« Lexique, sensations, perceptions et émotions », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 08 mars 2018, https://calenda-formation.labocleo.org/435787