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De la manipulation à l'incitation
From manipulation to incentive
Inflexion des comportements et politiques publiques
Inflexion of behaviors and public policies
Publié le jeudi 05 septembre 2019
Résumé
En matière de politiques publiques, un des plus grands défaut est la capacité à infléchir durablement les comportements, à comprendre comment et pourquoi ils apparaissent ou disparaissent, pourquoi ils perdurent ou changent. L’information donnée est disponible, mais les comportements apparemment non rationnels ne disparaissent pas. L’analyse la plus répandue consiste alors à considérer que la transition entre les informations disponibles et les décisions prises est affectée de divers biais cognitifs, sociaux et culturels. La solution actuellement la plus connue est d’abord venue des sciences économiques et de gestion : il s’agit des « nudges », ces « coups de pouce » qui incitent à prendre les meilleures décisions. De son côté, la sémiotique de l’action s’est dotée à la fin des années soixante-dix d’une « théorie de la manipulation ». La question des nudges est donc une opportunité théorique et méthodologique pour relancer une recherche collective et internationale en prolongement de la théorie de la manipulation, pour faire un état des acquis et des apports les plus récents, pour identifier et circonscrire des solutions alternatives.
Annonce
Présentation
Ce colloque a reçu le label et le soutien officiel de la Fédération Romane de Sémiotique[1], qui a décidé d’organiser sa prochaine Assemblée Générale à Limoges, pendant le colloque, et d’inciter les équipes qu’elle fédère à apporter leur contribution scientifique à cette manifestation.
Il est organisé, sous la responsabilité de Jacques Fontanille, par le Centre de Recherches Sémiotiques de l’université de Limoges, équipe membre de la Fédération Romane de Sémiotique.
Il se tiendra sous la Présidence d’Honneur de Paolo Fabbri, Professeur de sémiotique, Directeur du Centro Internazionale Umberto Eco di Scienze Semiotiche (CiSS) de l’Université Carlo Bo à Urbino.
Argumentaire
Le colloque de 2019 (en octobre) à Limoges, intitulé « De la manipulation à l’incitation. Inflexions des comportements et politiques publiques », regroupera des spécialistes de sémiotique, des sciences politiques, et des sciences cognitives et des sciences de gestion. Il s’adressera notamment à tous ceux qui, dans les structures de l’Etat, les administrations et les collectivités territoriales, ont à concevoir et à conduire des politiques d’incitation et de modification des comportements.
Le problème à traiter
En matière de politiques publiques, ce ne sont ni les bonnes idées ni la force des arguments qui font défaut, mais la capacité à infléchir durablement les comportements, à comprendre comment et pourquoi ils apparaissent ou disparaissent, pourquoi ils perdurent ou changent. L’information est disponible, voire largement diffusée, mais les comportements apparemment non rationnels (dans les domaines de l’alimentation, de la santé, des addictions, des transports, etc.) ne disparaissent pas. L’analyse la plus répandue consiste alors à considérer que la transition entre les informations disponibles et les décisions prises est affectée de divers biais cognitifs, sociaux et culturels.
La solution des nudges
La solution actuellement la plus connue est d’abord venue des sciences économiques et de gestion : il s’agit des « nudges », ces « coups de pouce » qui incitent à prendre les meilleures décisions.
Richard Thaler, l’économiste (prix Nobel) qui a porté la solution du nudge depuis plusieurs décennies, propose d’influencer en douceur les consommateurs, en les aidant à réaliser leurs objectifs ou leurs attentes. Pour R. Thaler et C. Sunstein, il s’agit « d’une version relativement modérée, souple et non envahissante du paternalisme, qui n’interdit rien et ne restreint les options de personne. Une approche philosophique de la gouvernance, publique ou privée, qui vise à aider les hommes à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres »[2]. Les sciences cognitives ont alors pris le relais, en faisant l’inventaire des « biais » qui produisent ces décisions « irrationnelles ». On évoque notamment des raccourcis mentaux et des pressions et normes sociales. Au titre des pressions sociales, par exemple, David Cameron a mis en place une équipe intitulée « Nudge Unit » en 2010, en Grande-Bretagne, qui a conçu un dispositif pour améliorer la collecte des impôts : les contribuables retardataires étaient systématiquement avertis quand leurs voisins avaient payé leurs impôts.
Eléments de discussion
La théorie des nudges, dès ses débuts il y a cinquante ans, affiche ostensiblement ses fondements idéologiques : l’insistance systématique sur le fait que le nudge n’affecte pas la liberté de choix de l’individu, ne compromet pas son libre-arbitre, et ne vise qu’à renforcer ce qu’il désire, montre bien que l’utilisation du nudge en matière de politiques publiques participe d’un libéralisme maximaliste, celui qui n’admet aucune contrainte ou limite imposée à la libre volonté de l’individu. Cette orientation idéologique évite par ailleurs de poser la question de la justification des inflexions et incitations publiques, en présupposant que tous les citoyens veulent librement ce que la puissance publique souhaite par ailleurs.
Pourtant, l’approche sémiotique (et non idéologique) montre bien que la liberté du vouloir-faire, du pouvoir-faire ou du savoir-faire consiste aussi à refuser, résister et s’opposer aux souhaits et injonctions de la puissance publique. Il est évident que les questions modales (le vouloir, le pouvoir, le devoir, le savoir et le croire) seront au cœur de l’interrogation de cette catégorie graduable que nous intitulons « De la manipulation à l’incitation ».
Ensuite, pour rendre compte du fonctionnement des nudges, les sciences cognitives se réfèrent en général à l’architecture des choix qui guide la décision individuelle. Néanmoins, d’autres courants des sciences cognitives avancent plus prudemment. Daniel Kahneman, autre économiste, autre Prix Nobel, distingue deux niveaux et deux vitesses de la pensée et de la décision : le circuit court (les « raccourcis mentaux ») est rapide, car il exploite les émotions et l’« instinct » (pour éviter les implications problématiques de la notion d’« instinct », mieux vaudrait ici parler d’impulsions) ; le circuit long est plus lent, car il emprunte les voies de l’analyse et de la réflexion. On peut rappeler ici le rôle que Claude Zilberberg attribuait au tempo dans la formation même des configurations sémiotiques. Mais le tempo entraîne également, au sein même de ces configurations, des affects et des émotions : on ne sait plus très bien où situer l’action des nudges, entre impulsion, émotion et décision. Daniel Kahneman a notamment montré, avec sa théorie des perspectives, que l’appréciation des gains et des pertes est dissymétrique, en raison du poids respectif des affects qui portent sur les uns et les autres. « Décision » est le nom de la pratique telle qu’on l’observe de l’extérieur, mais ce nom dit peu de choses de la composition sémiotique du processus qui y conduit, du point de vue de l’acteur social.
L’état des lieux en sémiotique
La sémiotique de l’action s’est dotée à la fin des années soixante-dix d’une « théorie de la manipulation », qui était supposée exploiter la première phase de la séquence narrative canonique, et déboucher sur une sémiotique des passions[3]. Cette ébauche, reprise succinctement dans Sémiotique 1[4], a finalement eu peu d’écho, car la sémiotique des passions, élaborée au cours des années quatre-vingt, a pris d’autres directions, et fait peu de cas du rôle des émotions et des passions dans les interactions du type « manipulations ». Le concept de « manipulation », entendu au sens générique de modalités du « faire faire », était pourtant suffisamment extensif pour faire place à des typologies précises et opératoires.
Il faut attendre une vingtaine d’années pour que, dans les développements d’une sociosémiotique dont les recherches sont fondées sur l’analyse des interactions sociales, et inspirées notamment par les travaux d’Eric Landowski, on retrouve de possibles articulations entre la manipulation et toutes ses variétés, les émotions, les passions et les régimes de signification. En ce sens, on pourrait également considérer que la plupart des recherches de Paolo Fabbri, depuis près de quarante ans, et même si leur intitulé ne l’indique pas directement, sont des contributions à une sémiotique de la manipulation qui ne dirait pas ostensiblement son nom.
La question des nudges est donc une opportunité théorique et méthodologique, pour relancer une recherche collective et internationale en prolongement de la théorie de la manipulation, pour faire un état des acquis et des apports les plus récents, pour identifier et circonscrire des solutions alternatives. On examinera notamment la possibilité de faire porter l’incitation et l’inflexion des comportements directement sur les interactions entre les acteurs et leur environnement, que ce soit en termes du guidage du flux de l’attention, ou en termes de « confort » ou d’« inconfort » des voies alternatives des comportements. Explorer systématiquement les différents régimes sémiotiques de l’influence. Intégrer les interactions acteurs/milieux, qui s’apparenteraient à une « factitivité » écologique. Examiner les solutions retenues, disponibles et possibles pour quelques politiques publiques concrètes. Etudier les aspects sémiotiques des propositions formulées par les sciences économiques, politiques et cognitives. Ce sont quelques-uns des enjeux de ce colloque.
Jacques Fontanille
Professeur émérite de Sémiotique
Programme :
Vous trouverez le programme complet sur le site officiel du colloque : https://www.unilim.fr/ceres-colloquenudges2019/programme/.
Voici les thèmes étudiés, plusieurs conférences ayant lieux pour chacun :
- Mercredi 16 octobre : Inflexions douces - Pressions sociales - Tactiques et instruments.
- Jeudi 17 octobre : Régulations collectives - Réviser la théorie de la manipulation - Terrains, milieux et collectifs.
- Vendredi 18 octobre : Affects, passions et incitations sensibles - Après-midi consacrée à une séance pénière organisée par la Chaire e-santé, bien vieillir et autonomie.
Mercredi 16 Octobre
- 9h Accueil
- 10h Allocution d’ouverture de Gérard Blanchard, Vice-Président de la Région Nouvelle Aquitaine
- 10h15 Présentation du colloque par Jacques Fontanille
Inflexions douces
- 10h30 Paolo FABBRI (Université d’Urbino)La « poussée gentille » : tactiques obliques pour « faire faire » le « ne pas faire »
- 11h Denis BERTRAND (Université Vincennes-Saint-Denis)Praxis énonciative, habitude et résistance au changement
- 11h30 Didier TSALA-EFFA et Lucile BERTHOME (CeReS, Limoges) Détours, retardements, échecs, incertitudes du jeu Terra Aventura : la gamification géolocalisée comme forme d’incitation au bénéfice d’un territoire
- 12h Discussion
13h Déjeuner sur place
Pressions sociales
- 14h15 Oscar QUEZADA MACHIAVELLO (Universidad de Lima)Interdépendances de l’université : enchevêtrements et désenchevêtrements
- 14h45 Juan ALONSO et Mehrvi FAZAL (Philépol, Paris Diderot)« Je vais lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser ». Du hard power au soft power
- 15h15 Nedret OZTOKAT KILICERI (Université d’Istanbul, Groupe SémiotIST)Du faire discursif politique au comportement civil : nudges et effets
- 15h45 Discussion
Pause
Tactiques, instruments et affordances
- 16h15 Marion COLAS-BLAISE (Université du Luxembourg)Vers une politique du nudge : l’instrument au service de l’incitation
- 16h45 Jorge LOZANO (Université Complutense de Madrid)Je sais que c’est faux, mais je le crois. Transformations modales du croire
- 17h15 Camille ALLOING et Julien PIERRE (CEREGE, Poitiers)Des nudges ou des affordances ? Les affects pour observer ce qui fait agir
- 17h45 Discussion
19h Réception à la Mairie de Limoges
Jeudi 17 Octobre
Régulations collectives
- 9h Anne BEYAERT-GESLIN (MICA, Université Montaigne, Bordeaux)Mobilités urbaines : quelques manipulations du « vivre ensemble »
- 9h30 Isabella PEZZINI et Paolo PEVERINI (Lars – Laboratoire Romain de Sémiotique)Communication non conventionnelle et nudging en contexte urbain
- 10h Jean-Marie KLINKENBERG (Université de Liège)L’incitation douce dans la mise en œuvre des politiques linguistiques. Le cas des « usages non sexistes »
- 10h30 Fiona OTTAVIANNI (EM Grenoble)Transformations de l’action publique et dynamiques institutionnelles : quels changements dans les comportements ?
- 11h Discussion
Pause
11h45 Table-ronde des élus de Limoges-Métropole
13h Déjeuner sur place
Réviser la théorie de la manipulation
- 14h15 Anouar BEN MSILA (LTD – Langages,Textes, Discours – Université de Meknès)Le nudging, un processus sémiotique spécifique
- 14h45 Valeria DE LUCA (CeReS, Limoges)Qui gardera les gardiens ? Manipulation, affect et transparence : quelques éléments sémiotiques pour une évaluation critique des nudges
- 15h15 Hamid Reza SHAIRI ( Université Modares,Téhéran)Quand la sanction manipulatoire et les instances de manipulation influencent le cours du comportement économique de la société iranienne
15h45 Discussion
Pause
Terrains, milieux et collectifs
- 16h30 Anne KRUPICKA et Cécile McLAUGHLIN (CEREGE Poitiers et CeReS Limoges)Goûtons aux nudges : contre le gaspillage alimentaire
- 17h Jacques FONTANILLE et Julie LAIRESSE (CeReS, Limoges)Les nudges et le contrôle sémiotique du milieu et du collectif : de l’influence socio-environnementale dans l’inflexion des comportements collectifs
- 17h30 Discussion
- 17h45 Assemblée Générale de la Fédération Romane de Sémiotique
20h Dîner du colloque
Vendredi 18 Octobre
Affects, passions et incitations sensibles
- 9h Angelo DI CATERINO (CeReS, Limoges)Nouvelles formes du faire croire : le rôle de la théorie des nudges et des passions dans les fake-news
- 9h30 Evangelos KOURDIS et Loukia KOSTOPOULOU (Université Aristote de Thessaloniki, AUTH SemioLab) Les campagnes médiatiques sur la crise économique grecque comme moyen d’inflexion des comportements de la population européenne
- 10h Tiziana MIGLIORE (Université d’Urbino) Les nudges ou la manipulation du sensible : les Îles de plastique
- 10h30 Discussion
Pause
- 11h15 Pierluigi BASSO FOSSALI (ICAR, Université Lyon Louis Lumière) Des index aux pouces. La rationalité liquide
- 11h45 Discussion
- 12h00 Alessandro ZINNA (Université Toulouse Jean Jaurès)Synthèse et conclusions
12h30 Déjeuner sur place
Séance grand public
Organisée par la Chaire CHAIRE e-santé, bien-vieillir et autonomie
Fondation Partenariale de l’Université de Limoges
14h30 Programmation en cours
Modalité d'inscription
Les inscriptions sont obligatoires pour assister au colloque. Elles doivent se faire en ligne à cette adresse : https://www.unilim.fr/ceres-colloquenudges2019/inscription/.
Pour toute question, n'hésitez pas à nous contacter.
Comité d’honneur
- Denis Bertrand,
- Paolo Fabbri,
- Jorge Lozano,
- Oscar Quezada Machiavello
Comité d’organisation
- Isabelle Klock-Fontanille,
- Anne Krupicka,
- Cécile McLaughlin,
- Jacques Fontanille,
- Céline Chrétien,
- Julie Lairesse,
- Alexandre Sbabo,
- Bruno Guiatin,
- Alix Ngoma,
- Manale Lahmar,
- Valentin Moulin.
Les partenaires du projet
La responsabilité scientifique de ce colloque est assurée par :
- Le Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS, Université de Limoges)
- Le Centre de Recherche en Gestion (CEREGE, Université de Poitiers)
Avec le soutien des équipes suivantes, membres de la Fédération Romane de Sémiotique : LHE (Paris 8, Vincennes-Saint-Denis), CISS (Centre Umberto Eco, Urbino), ICAR (Lyon 2, Louis Lumière), MICA (Bordeaux Montaigne) ; SES (Puebla, UAP), Comunicación y Cultura (Lima).
En partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine (AAP « Nudges et objectifs de développement durable »)
Le CEREGE et le CeReS sont engagés dans un programme de recherches portant sur les nudges, financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, et commun aux deux Universités de Poitiers et Limoges. Dans ce programme, est prévue l’organisation de deux colloques, le premier en 2019, consacré aux politiques publiques et à la structuration conceptuelle des problématiques de « manipulation et d’incitation », à Limoges et à l’initiative du CeReS et de la Fédération Romane de Sémiotique, et le second, en 2021, consacré aux résultats des études de terrain et de la dimension « développement durable » du programme AAP, à Poitiers, à l’initiative du CEREGE.
Références
[1] La Fédération Romane de Sémiotique regroupe une trentaine d’équipes dans une quinzaine de pays différents, en Europe, en Asie, en Amérique et en Afrique
[2] Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, Paris, Vuibert, 2010, 288 p.
[3] Bulletin du GRSL – Groupe de Recherches Sémio-Linguistiques issu du Séminaire de Sémantique générale d’Algirdas Julien Greimas à l’EHESS, n°1, décembre 1977.
[4] Algirdas Julien Greimas et Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1986.
Catégories
- Études du politique (Catégorie principale)
- Esprit et Langage > Information > Sciences de l'information
- Sociétés > Économie > Gestion
- Sociétés > Études du politique > Politiques et actions publiques
Lieux
- Campus des jacobins, 88 rue du Pont Saint Martial
Limoges, France (87)
Dates
- mercredi 16 octobre 2019
- jeudi 17 octobre 2019
- vendredi 18 octobre 2019
Mots-clés
- nudge, politique publique, incitation, manipulation, sémiotique
Contacts
- Valentin Moulin
courriel : valentin [dot] moulin [at] unilim [dot] fr - Jacques Fontanille
courriel : jacques [dot] fontanille [at] unilim [dot] fr - Julie Lairesse
courriel : julie [dot] lairesse [at] unilim [dot] fr
URLS de référence
Source de l'information
- Valentin Moulin
courriel : valentin [dot] moulin [at] unilim [dot] fr
Licence
Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la CC0 1.0 Universel.
Pour citer cette annonce
« De la manipulation à l'incitation », Colloque, Calenda, Publié le jeudi 05 septembre 2019, https://calenda-formation.labocleo.org/663762